Depuis plusieurs années, les Hauts-Plateaux d'Itombwe, une région riche en biodiversité et habitée par la communauté Banyamulenge, sont au centre d'un projet controversé de transformation en réserve naturelle. Relancé par l'Institut National pour la Conservation de la Nature (ICCN) en collaboration avec la coopération allemande GIZ, ce projet a été approuvé par le gouvernement de la République Démocratique du Congo (RDC). Cependant, derrière cette façade de conservation écologique, se cachent des conséquences désastreuses pour la communauté Banyamulenge.
La Genèse du Projet et Manœuvre Politique Cachée
Le projet de transformation des Hauts-Plateaux d’Itombwe en réserve naturelle remonte à l'époque de la colonisation belge. Cette initiative s’inscrit dans une série de mesures destinées à déstabiliser et à fragiliser la communauté Banyamulenge, perçue comme récalcitrante par le pouvoir colonial, et à la priver de ses terres.
Cependant, l’argument de création d'une réserve naturelle n’était qu'un prétexte, comme le démontre Weis dans son ouvrage "Les pays d’Uvira" (1959). Il écrit : « La mesure voulait plutôt protéger des concessions minières, aux confins des territoires de Fizi, de Mwenga et d'Uvira, et des réserves dont on voulait conserver les forêts. »
L’auteur va jusqu’à condamner cette manigance en ces termes : « Il s'avère au total que la politique de relégation — et aujourd'hui d'ignorance — des Ruanda est une erreur. Une erreur de principe au surplus, car rien, aucun droit, ni aucun souci d'épargner la végétation, ne permet d'empêcher une population d'occuper une terre vide. » (Weis, p.278).
Ainsi, derrière la façade de la préservation environnementale, se cachait un objectif de protection des intérêts économiques et stratégiques coloniaux, au détriment des droits et du bien-être des populations locales.
Ce projet s'étendant de Nganji-Milimba jusqu'à Gasha-Rurambo. Il couvre exactement et entièrement le terroir des Banyamulenge. Menée sans consentement de la communauté concernée, prétend protéger la faune et la flore locales. Toutefois, il ignore complètement les droits et les besoins des habitants historiques de cette région qui, désormais, sur le plan administratif, ne sont plus propriétaires de leur terroir.
Soixante ans après l’indépendance, le projet de transformation des Hauts-Plateaux d'Itombwe en réserve naturelle réapparaît avec les mêmes intentions maléfiques. Il est réinitialisé par Bitomwa, ingénieur agronome issu de la tribu des Babembe et ennemi juré des Banyamulenge, dirigeant l'Institut National pour la Conservation de la Nature (ICCN). Les motifs cachés derrière cette initiative sont aisément discernables. Le choix de déloger la communauté Banyamulenge, la seule de son genre dans la province du Sud-Kivu, semble dicté par un sentiment de haine et de vengeance, remontant à la rébellion de Mulele en 1964, et par le désir d'accaparer leurs terres au profit des autres tribus.
Weis, dans son ouvrage "Les pays d’Uvira" (1959), révèle ces intentions en écrivant : « Une seconde étape devrait permettre une migration plus accentuée de Vira vers le plateau, sans mouvement inverse aussi important des Ruanda… De nombreuses zones encore vierges peuvent donc être mises en réserve, et progressivement consacrées à l'agriculture vira, sans porter préjudice aux Ruanda. » (Weis, p.280).
L’auteur mentionne les Vira parce que son étude était limitée au territoire que la colonisation venait d’attribuer au Vira. Mais la mesure s’étendait sur tous les territoires partageant les hauts plateaux, à savoir Fizi, Mwenga et Uvira. En d’autre terme , toutes les tribus convergeront vers les Hauts-Plateux. Il ajoute que « Le succès de l'entreprise est enfin conditionné par le problème politique délicat de la pénétration des Vira sur des terres aujourd'hui acquises aux Ruanda » (Weis, p.279).
Ainsi, derrière le voile de la conservation environnementale, se cache un dessein de spoliation et d'exclusion des Banyamulenge, perpétuant un cycle de haine et de violence historique, au profit d'intérêts tribaux et politiques bien ancrés.
Que Bitomwa ait eu de telles intentions est une chose, mais que le gouvernement approuve un projet d’expropriation des terres d’une communauté sans proposer d’alternative relève d'une véritable méchanceté. Ce projet de réserve naturelle veut, non seulement exproprié les Banyamulenge de leurs terres ancestrales, mais le fait sans considération pour leur survie et leur bien-être.
Depuis 1978, la GIZ opérait en République Démocratique du Congo (RDC) au nom du ministère fédéral de la Coopération économique et du Développement (BMZ). Cependant, en 1994, elle a dû suspendre ses activités en raison de la guerre civile et des menaces sécuritaires associées. Actuellement, la GIZ n'est plus présente pour que l'on puisse lui demander des explications sur une étude présentant tant d'imperfections. Nous ne pouvons toutefois nous empêcher de penser qu'après le départ de la GIZ, que certaines parties du projet aient été caviardées pour nuire à la communauté ciblée. Cela soulève la question de l'instrumentalisation des projets comme arme contre des populations spécifiques.
Le projet de création d'une réserve naturelle sur les Hauts-Plateaux d’Itombwe, officiellement approuvé sous la présidence de Joseph Kabila, soulève de nombreuses questions et suscite des controverses. Bien que toutes les communautés locales aient été consultées lors de l'élaboration du projet, y compris les Banyamulenge, ces derniers ont catégoriquement refusé, pensant que le projet ne serait pas mis en œuvre contre leur gré. Cependant, une série d'événements et de décisions semblent avoir trahi cette attente.
Le gouverneur du Sud-Kivu à l'époque, Marcellin Cishambo, s'était farouchement opposé à ce projet refusant de le signer sans l’assentiment de la communauté la plus concernée. Pourtant, il fut surpris d'apprendre que des notabilités supposées des Banyamulenge avaient signé l'approbation. Cette situation soulève plusieurs questions cruciales : Qui sont ces Banyamulenge qui auraient signé au nom des notables ? S'agit-il d'une trahison de certains membres de la communauté ou d'une falsification orchestrée par l'administration, une pratique malheureusement courante en RDC ? Ont-ils été sommés de signer sous les menaces et les intimidations? Cette énigme reste à éclaircir et ouvre des pistes de recherche pour les historiens et les chercheurs en sciences politiques.
La Pertinence de la Création de la Réserve
Au-delà des questions de procédure et de légitimité, il est crucial de s'interroger sur la pertinence de créer une nouvelle réserve naturelle entourée par des tribus aux instincts de chasseurs comme les Babembe, Bafulero et Barega. Pourquoi envisager de nouvelles réserves alors que celles existantes sont déjà en proie à la destruction en raison d'une mauvaise gestion et d'un manque de protection ?
Prenons par exemple le parc national de Kahuzi-Biega au Sud-Kivu. Ce parc, autrefois un sanctuaire pour les précieux gorilles de montagne, a vu ses populations décimées, transformant un lieu de conservation en scène d'un véritable écocide. De même, le grand parc de Virunga au Nord-Kivu a subi des dommages similaires. En RDC, le problème ne réside pas dans le manque de réserves naturelles, mais dans leur gestion inefficace et leur protection insuffisante. En réalité, créer de nouvelles réserves apparaît comme une priorité mal placée.
Il serait bien plus judicieux de réhabiliter et de renforcer les réserves existantes avant de chasser les populations locales sous prétexte de créer de nouvelles zones protégées. La création de la réserve d'Itombwe, dans ce contexte, apparaît suspecte et mérite une attention particulière. Cette démarche soulève des questions sur les motivations réelles derrière ces initiatives et sur l'impact qu'elles auront sur les communautés locales.
En somme, au lieu de se lancer dans des projets de nouvelles réserves, il serait préférable de concentrer les efforts sur l'amélioration de la gestion et de la protection des réserves actuelles. Cela permettrait de préserver efficacement notre biodiversité tout en respectant les droits et les modes de vie des populations locales.
Attitude de la Communauté Internationale
Pourquoi la communauté internationale a-t-elle tourné le dos aux Banyamulenges ? Serait-ce à cause de la transformation des Hauts-Plateaux en réserve naturelle ? Nous savons que les projets de ce genre sont souvent parrainés par l’UNESCO. Est-ce cela qui justifie l’attitude de l’ONU ?
Les Banyamulenge, une communauté minoritaire vivant sur les Hauts-Plateaux de l’Itombwe dans l'est de la République Démocratique du Congo (RDC), font face à une tragédie humanitaire depuis plusieurs décennies. Malgré les violences et les massacres dont ils sont victimes, la communauté internationale semble avoir tourné le dos à leur sort. Cette indifférence est-elle liée au projet de transformation de leurs terres ancestrales en réserve naturelle ? C’est une hypothèse à ne pas écarter.
Les Banyamulenge, en tant que minorité ethnique, ont souvent été marginalisés dans le discours international. Leur manque de représentation politique et médiatique réduit leur visibilité et rend leurs appels à l’aide moins audibles sur la scène mondiale.
La communauté internationale, qui se dit pourtant préoccupée par les droits de l'homme et la justice, a montré une indifférence alarmante face aux souffrances des Banyamulenge. Plusieurs facteurs pourraient expliquer cette attitude. Il semble que la priorité donnée à la conservation écologique, par le biais du projet de réserve naturelle, ait conduit à minimiser l'importance des droits des habitants locaux. Certes, la biodiversité de l’Itombwe est précieuse. Cependant, doit-elle être protégée au prix de vies humaines et de l’existence d’une communauté entière ?
Cette situation soulève des questions fondamentales sur les valeurs et les priorités de la communauté internationale. Est-il acceptable de sacrifier une communauté sur l'autel de la conservation écologique ? Les Banyamulenge méritent non seulement d'être entendus, mais aussi d'être protégés. La protection de l'environnement et la défense des droits humains ne devraient jamais être en opposition, mais plutôt aller de pair pour garantir un avenir juste et équitable pour tous.
Les Conséquences Implacables pour les Banyamulenge
La transformation des terres des Banyamulenge en réserve naturelle représente pour eux bien plus qu'une simple modification territoriale; elle équivaut à une expropriation forcée. Privés de leurs terres ancestrales, ces populations se retrouvent sans alternatives viables, condamnées à l'errance et à la précarité. Cette dépossession entraîne des répercussions profondes et directes sur leur existence, modifiant leur mode de vie, leur culture et leur identité de manière irréversible.
Face à la question cruciale de savoir où les Banyamulenge pourraient aller, certains prétendus experts répondent de manière sarcastique et humiliante que ces derniers pourraient se rendre au Rwanda, assurant que Kagame ne les tuerait pas. D’autres ajoutent cyniquement qu’ils pourraient rester sur leurs montagnes et continuer à se faire couper les têtes . Cette indifférence, ou pire, ce mépris, révèle une absence totale de considération pour des alternatives humaines et viables pour les Banyamulenge.
Cette situation soulève une interrogation légitime : si les Banyamulenge n'ont pas leur place en République Démocratique du Congo, pourraient-ils en trouver une au Rwanda, pays étranger à la superficie réduite et à la densité de population parmi les plus élevées au monde? En réalité, ces suggestions ne sont que des échappatoires qui masquent une volonté systématique d’ignorer les droits fondamentaux des Banyamulenge à la terre et à la dignité.
La dépossession des terres ancestrales des Banyamulenge, sous couvert de création de réserves naturelles, est une forme de violence institutionnelle qui vise à effacer leur présence et leur culture. Cette situation appelle à une réflexion profonde et à des actions concrètes pour protéger les droits des Banyamulenge, afin qu'ils puissent vivre en paix et en sécurité sur leurs terres ancestrales, préservant ainsi leur héritage culturel et leur identité.
Le projet a exacerbé les tensions dans la région, conduisant à des violences et à des massacres ciblés contre les Banyamulenge. Dépouillés de leurs terres, ils deviennent des cibles faciles pour les groupes armés, renforçant ainsi l'instabilité et l'insécurité dans les Hauts-Plateaux.
Ces groupes armés, téléguidés par le régime en place à Kinshasa, justifient leurs agressions en prétendant chasser les "étrangers" qui occupent leurs terres; une formule de propagande qui leur sert de cheval de bataille. Cette rhétorique dangereuse et fallacieuse non seulement légitime leurs actes de violence, mais exacerbe également les divisions ethniques et la haine, plongeant la région dans un cycle incessant de conflits et de souffrances.
La manière dont le projet a été mené, sans transparence ni inclusion des Banyamulenge, a profondément érodé la confiance entre la communauté et les autorités locales et internationales. Cela a également fracturé le tissu social, créant des divisions et des ressentiments durables.
Les massacres des Banyamulenge peuvent être vus comme une conséquence directe de ce projet de réserve naturelle. En les dépossédant de leurs terres, ce projet a non seulement détruit leur moyen de subsistance mais a aussi créé un contexte propice à la violence et à la répression. La confluence de l'expropriation et de l'insécurité a rendu cette communauté vulnérable à des attaques meurtrières.
Cette situation tragique montre l'importance d'inclure les communautés locales dans les décisions qui les affectent et de trouver un équilibre entre la conservation de l'environnement et la protection des droits humains. Les Banyamulenge méritent d'être respectés et protégés, et leur histoire doit servir de leçon pour éviter de futures injustices similaires.
Un Appel à la Justice et à la Réparation
Il est impératif que la communauté internationale et le gouvernement de la RDC reconnaissent les torts causés par ce projet et agissent pour réparer les injustices. Cela inclut :
La Restitution des Terres : Il est crucial que les Banyamulenge retrouvent leurs terres ancestrales et soient intégralement compensés pour les pertes subies.
La Justice pour les Victimes : Les auteurs des violences et des massacres doivent être identifiés et traduits en justice pour leurs crimes. La reconnaissance officielle des souffrances endurées par les Banyamulenge est essentielle pour la réconciliation et la paix durable.
L'Inclusion des Communautés Locales dans les Projets de Développement :Tout projet futur de développement ou de conservation doit impérativement inclure les communautés locales dans le processus de décision, garantissant ainsi leurs droits et leur bien-être.
Conclusion
Le projet de transformation des Hauts-Plateaux d'Itombwe en réserve naturelle relancé par la coopération allemande GIZ et l'ICCN, a entraîné des conséquences dévastatrices pour la communauté Banyamulenge. En les dépossédant de leurs terres et en ignorant leurs droits, ce projet a non seulement provoqué des massacres mais a aussi brisé le lien de confiance entre les Banyamulenge et les autorités. Il est temps de réparer ces torts et de s'engager sur la voie de la justice et de la réconciliation.
La controverse entourant la création de la réserve naturelle d’Itombwe est emblématique des nombreux défis auxquels est confrontée la gestion des ressources naturelles en RDC. Entre consultations douteuses, approbations contestées et priorités mal placées, ce projet met en lumière les tensions profondes entre conservation environnementale et droits des communautés locales.
Il est impératif que la communauté internationale, les chercheurs et les défenseurs des droits humains continuent de scruter cette situation, afin de garantir que les décisions prises respectent les droits et les aspirations des populations locales, tout en assurant une protection efficace et durable de l'environnement.
le 15 aout 2024
Paul Kabudogo Rugaba
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