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UN PLAIDOYER URGENT POUR LA PROTECTION DES BANYAMULENGE DE MINEMBWE (SUD KIVU-RDC) VICTIMES DE VIOLENCES GÉNOCIDAIRES

Paul KABUDOGO RUGABA

L’Est de la République démocratique du Congo est en proie à divers conflits, notamment la rébellion du M23, la crise identitaire sous-jacente dans le Nord-Kivu, la campagne catastrophique d’épuration des Tutsis Banyamulenge dans le Sud-Kivu, ainsi que la destruction systématique des structures sociales et économiques ciblant la communauté Hema en Ituri. Malgré des causes spécifiques et des particularités propres à chacune de ces crises, elles ont en commun une violence extrême et une intention destructrice.

Les médias concentrent leur attention presque exclusivement sur la question du M23, sous-évaluant considérablement l’ampleur réelle du conflit, tant dans sa complexité que dans ses répercussions, tout en imputant l’entière responsabilité aux rebelles. Tant que cette crise sera perçue uniquement comme une confrontation entre le M23 et le gouvernement de la RDC, la description restera largement incomplète. Avec ou sans le M23, une discrimination et une violence systématiques et généralisées continuent de cibler les Tutsis à travers tout le pays.

À ce jour, plus de 750 jeunes Tutsis sont incarcérés dans diverses prisons, accusés d’un "crime" unique : leur appartenance ethnique. Le gouvernement congolais doit impérativement assumer ses responsabilités face à cette situation.

Par ailleurs, la condition des Banyamulenge dans la province du Sud-Kivu représente une urgence absolue qui nécessite une attention immédiate.

La situation actuelle à Minembwe

Après une relative accalmie dans cette région en proie à des conflits armés depuis 2017 entre plusieurs factions, de nouveaux assauts et une militarisation excessive annoncent une escalade imminente de la violence, dont les conséquences pourraient être désastreuses.

Du 25 au 27 décembre 2024, une coalition composée des Forces armées de la RDC (FARDC), de la milice gouvernementale connue sous le nom de Maï-Maï, et de leurs alliés étrangers a attaqué plusieurs villages à Minembwe, dans la province du Sud-Kivu, à l’est de la RDC. Ces attaques, ciblant les Tutsi Banyamulenge, ont causé la mort d’une douzaine de personnes, dont une adolescente de 13 ans.

Les témoignages recueillis sur le terrain à Minembwe confirment que les FARDC et leurs alliés préparent des offensives de grande envergure, susceptibles d’aggraver une situation déjà extrêmement fragile. Des sources crédibles indiquent que, le 27 décembre 2024, un avion-cargo transportant du matériel militaire a atterri à deux reprises à Fizi. Ce matériel, sous la supervision du colonel Makelele, commandant d’une brigade sur place, a été distribué aux soldats et aux miliciens.

Par ailleurs, six bataillons militaires ont été déployés à Minembwe et ont renforcé les rangs des milices Maï-Maï Wazalendo issues des communautés voisines Bafuliru, Babembe et Banyindu, ainsi que de groupes armés étrangers présents dans l’est de la RDC depuis de nombreuses années. La situation sécuritaire dans cette région des hauts plateaux, déjà marquée par des décennies de violence, est encore compliquée par les efforts visant à implanter des combattants des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR) dans la zone. La présence récemment documentée de ces combattants dans des localités telles que Kitoga et Kajembwe ne fait qu’exacerber les tensions ethniques, déjà explosives.

Depuis 2017, l’insécurité prolongée dans les hauts plateaux du Sud-Kivu a transformé Minembwe en une sorte de camp de concentration, où les habitants vivent sous une menace constante de violence. La surmilitarisation de Minembwe ne fera qu’aggraver leur quotidien, rendre leur vie encore plus dangereuse et insupportable, et contribuer à leur épuration progressive de la région.

Un leg de violence et d’impunité

Cette énième attaque s'inscrit dans le cadre d’un plan coordonné, mis en œuvre depuis avril 2017, visant à éradiquer toute présence banyamulenge dans la région. Une grande partie de la population a fui Minembwe, tandis que ceux qui y restent vivent dans un état de siège permanent. Au cours des sept dernières années, 2 000 Banyamulenge ont perdu la vie, 480 villages ont été entièrement détruits et incendiés, plus de 500 000 têtes de bétail ont été volées, et des dizaines de milliers de personnes ont été dispersées dans des camps de réfugiés dans les pays voisins. 

La création du mouvement d’autodéfense « Twirwaneho » est une conséquence directe de cette situation. Ce mouvement est né de l’incapacité ou du manque de volonté de l’État congolais et de ses forces de sécurité à protéger équitablement tous les citoyens. Les autorités publiques se sont souvent distinguées, dans leur traitement des Banyamulenge, par une partialité manifeste et des interventions biaisées. Pire encore, elles ont parfois collaboré avec des groupes armés responsables d’attaques contre les populations civiles. 

Malgré un profond sentiment d’abandon, les Banyamulenge n’ont jamais considéré l’armée congolaise comme une ennemie. Au contraire, ils l’ont implorée de protéger tous les citoyens, sans discrimination. Pour Twirwaneho, cette guerre existentielle qui leur est imposée est dénuée de sens, mais elle ne leur laisse pas d’autre choix que celui de l’autodéfense. C’est la seule réponse viable face à ceux qui continuent de les considérer comme des citoyens de second rang, de nier leurs droits fondamentaux, de les attaquer et de les tuer, ou de détruire leurs biens avec la complicité des forces de l’ordre. 

Il est important de rappeler que les attaques actuelles contre les Banyamulenge en tant que groupe ne sont pas un phénomène nouveau, bien que leur intensité ait augmenté. En octobre 1996, les autorités zaïroises avaient déclaré que les Banyamulenge étaient des étrangers et leur avaient donné un ultimatum de six jours pour quitter le pays. Deux ans plus tard, en 1998, l’ancien ministre des Affaires étrangères, Abdoulaye Yerodia Ndombasi, avait publiquement appelé à l’extermination des "déchets" et des "microbes" – une référence explicite aux Banyamulenge –, affirmant qu’ils devaient être éradiqués de manière méthodique. Ces propos avaient conduit au massacre de milliers de Banyamulenge et d’autres Tutsis congolais à travers le pays, ainsi qu’à l’expulsion forcée de nombreux individus depuis Vyura, dans la province du Katanga. 

En août 2004, 166 Banyamulenge furent massacrés de manière ciblée dans le camp de réfugiés de Gatumba, au Burundi, par une coalition de groupes armés burundais et congolais. Cette attaque, motivée par des considérations ethniques, présente des similitudes frappantes avec celles qui se déroulent actuellement à Minembwe. Malgré les promesses de responsabilisation faites par divers acteurs régionaux et internationaux après cette tragédie, aucune action concrète n’a été entreprise, favorisant ainsi une impunité qui a encouragé de nouvelles attaques ciblées contre les Tutsis dans l’est de la RDC.  Les massacres actuels des Banyamulenge du Sud-Kivu et des Tutsis du Nord-Kivu s’inscrivent dans la continuité de cette impunité historique. 


Les discours de haine contre les Tutsis

La violence extrême des attaques contre les Tutsis congolais trouve en partie ses racines dans la propagation systématique de discours de haine. Ces appels à la violence, parfois explicites, incluent des incitations au génocide contre cette communauté, et proviennent de divers acteurs : milices armées, partisans au sein des communautés voisines, membres de la diaspora congolaise, ainsi que certaines personnalités publiques en République démocratique du Congo (RDC).

Le discours actuel dirigé contre les Tutsis de RDC réutilise les mêmes thèmes que ceux diffusés par les médias de haine au Rwanda il y a plus de 30 ans. Au Congo, tuer un Tutsi est souvent présenté comme un acte de bravoure, ce qui a conduit à des lynchages, des meurtres, des personnes brûlées vives et même des actes de cannibalisme, commis par des groupes qui exhibent fièrement leurs atrocités devant les caméras, en toute impunité.

Ce phénomène a été documenté et dénoncé par plusieurs acteurs, y compris des représentants des Nations unies en RDC. Dès octobre et novembre 2019, des fonctionnaires de l’ONU ont tiré la sonnette d’alarme. Abdoul Aziz Thioye, alors directeur du Bureau conjoint des Nations unies pour les droits de l’homme en RDC, avait déclaré :

« Il y a effectivement une recrudescence et une prolifération des discours que nous pouvons qualifier d’incitation à la haine, à la violence et à la discrimination à travers les médias classiques et les réseaux sociaux. Ces discours de haine et ces appels à la violence contre les Congolais d’ethnie tutsie et les Congolais d’expression kinyarwanda, en particulier la communauté banyamulenge, se sont multipliés depuis la mi-2021. »

De plus, dans son rapport du 30 novembre 2022, Alice Nderitu, alors conseillère spéciale du Secrétaire général des Nations unies pour la prévention du génocide, soulignait:

« La violence actuelle en République démocratique du Congo est un avertissement de la fragilité de la société et un testament de la présence persistante des conditions qui ont permis à l’animosité et à la violence à grande échelle de dégénérer en génocide dans le passé. »

Récemment, l’ancien président de l’Afrique du Sud, Thabo Mbeki, a également insisté sur l’importance de reconnaître et d’aborder le problème de la discrimination et de l’exclusion des Banyamulenge et des Tutsis en général, afin de trouver des solutions durables aux crises sécuritaires dans l’est de la RDC.


Le déni de citoyenneté congolaise

Les Banyamulenge, tout comme de nombreuses autres communautés congolaises, se sont établis sur le territoire qui allait devenir le Congo belge bien avant la délimitation des frontières coloniales en Afrique. Leur présence remonte au XVIIIe siècle, ancrée dans les Hauts Plateaux du Sud-Kivu. En vertu de la Constitution congolaise et des lois en vigueur, leur citoyenneté congolaise est juridiquement incontestable.

Cette position a d’ailleurs été confirmée par le président Félix Tshisekedi dans un discours prononcé devant la diaspora congolaise à Londres, le 19 janvier 2020. À cette occasion, il avait réaffirmé l’appartenance des Banyamulenge à la nation congolaise, marquant une rare reconnaissance publique, à un moment où son administration ne les visait pas directement.

Malgré ce fondement légal et historique, les Banyamulenge continuent de faire face à des politiques et des discours qui cherchent à remettre en question leur citoyenneté. Ce déni sert à les marginaliser, les stigmatiser, et souvent à justifier les discriminations et violences qu’ils subissent. Les schémas de persécutions, incluant des assassinats ciblés et des actes de violence collective, sont souvent encouragés ou soutenus par des communautés voisines, parfois avec la complicité explicite ou implicite des autorités civiles et militaires, tant au niveau local que national.

Ces stratégies de déshumanisation visent à les réduire au statut d’étrangers ou de citoyens de seconde classe, alimentant ainsi un narratif politique qui légitime les attaques et les exclusions systémiques contre eux. Cette dynamique rappelle tragiquement d’autres épisodes dans l’histoire où des groupes ont été ostracisés et persécutés sur la base d’une citoyenneté contestée, montrant que la lutte des Banyamulenge pour une reconnaissance pleine et entière reste cruciale non seulement pour eux, mais pour la cohésion et la justice en RDC.

Indifférence ou complicité

Malgré de nombreux appels désespérés au soutien, la recrudescence de la violence à Minembwe et dans ses environs illustre tragiquement les conséquences de l'inaction face aux précédents cris d’alerte des Banyamulenge. Cette absence de réponse, volontaire ou non, semble encourager les auteurs de violences, qui affichent leur intention de « nettoyer » l’est de la RDC de toute présence tutsie.

L’inaction ou la passivité des autorités et de la communauté internationale est souvent justifiée par une lecture erronée et simpliste de la situation sur le terrain. Comme au Rwanda il y a trente ans, la lecture dominante des violences dans le Sud-Kivu et ailleurs dans l’est de la RDC les réduit à des « conflits interethniques », masquant ainsi la nature systématique et bien orchestrée d’un programme de nettoyage ethnique ciblant les civils tutsis/banyamulenge.

Cette erreur d’interprétation, souvent nourrie par des campagnes de désinformation, est exacerbée par des rapports biaisés ou incomplets. Au lieu de dénoncer clairement les acteurs responsables de ces atrocités et de prendre des mesures pour protéger les victimes, ces rapports finissent par culpabiliser les Banyamulenge eux-mêmes. Même les enquêtes de l’ONU sur le terrain, pourtant attendues pour leur impartialité, se sont parfois révélées insuffisantes, présentant une analyse incomplète ou erronée de la réalité.

Dans de nombreux cas, les enquêteurs n’ont pas cherché à établir un dialogue avec les communautés victimes. Ils se sont plutôt appuyés sur les récits biaisés des sympathisants des bourreaux, donnant ainsi une légitimité aux propagandes qui minimisent ou justifient les violences. Ces rapports, marqués par une tendance à « équilibrer » les torts entre les différentes parties, dépeignent les événements sous un angle ethnique sans prendre en compte la vulnérabilité spécifique des Banyamulenge.

En omettant d’accorder l’attention nécessaire à une communauté minoritaire attaquée de toutes parts, tant au niveau local que national, ces institutions et organisations internationales jouent, consciemment ou inconsciemment, un rôle dans la perpétuation de l’injustice. Cette indifférence apparente ou complicité involontaire alimente un cycle de violence où les victimes, abandonnées à leur sort, sont laissées à la merci de leurs agresseurs.

Appel à une action immédiate

En mettant en lumière la tragédie en cours, nous appelons instamment les Nations unies, les organisations internationales, régionales et sous-régionales, ainsi que les gouvernements concernés, à prendre la pleine mesure de l’urgence de la situation. Leur influence politique et diplomatique doit être mobilisée immédiatement pour désamorcer les tensions à Minembwe et dans ses environs. Il est impératif que des actions concrètes soient prises pour rétablir la stabilité et promouvoir la coexistence pacifique entre les communautés.

La communauté internationale doit agir de toute urgence pour empêcher de nouvelles atrocités. Le gouvernement de la République démocratique du Congo doit être tenu responsable de son rôle dans la perpétuation ou la tolérance de violences visant les Banyamulenge. Parallèlement, les acteurs internationaux doivent fournir un soutien politique et militaire à la hauteur des besoins pour apaiser la situation sur le terrain.

La culture d’impunité, ancrée dans des décennies de désinformation et d’analyses biaisées, doit être éradiquée. Il est temps de briser ce cercle vicieux et de stopper la campagne de nettoyage ethnique qui cible les Banyamulenge. En l’absence de telles mesures, les violences au Sud-Kivu, qui s’inscrivent dans un contexte historique d’attaques contre la communauté tutsie, risquent de déstabiliser toute la région.

Cette crise ne concerne pas uniquement les Banyamulenge. Elle représente une menace directe à la paix et à la stabilité régionale. Si la communauté internationale reste passive, les conséquences pourraient être désastreuses, non seulement pour la RDC, mais aussi pour ses voisins.

Une responsabilité partagée pour prévenir une nouvelle tragédie

La crise actuelle à Minembwe reflète la fragilité de la paix en RDC et souligne l’urgence de s’attaquer aux tensions ethniques profondément enracinées, avant qu’elles n’échappent totalement au contrôle. Le temps presse. Les leçons de l’Histoire nous enseignent qu’il est possible de prévenir des génocides et des nettoyages ethniques si des actions décisives et collectives sont entreprises à temps.

Le monde doit agir maintenant. Protéger les Banyamulenge et d'autres communautés vulnérables, tenir les auteurs de ces violences pour responsables et rétablir la stabilité dans l’est de la RDC ne sont pas seulement des impératifs moraux, mais aussi des exigences fondamentales pour garantir une paix durable. Nous ne pouvons pas permettre que cette tragédie atteigne des proportions historiques par indifférence ou inaction.

 

 

Le 26 janvier 2025

Professeur Freddy Kaniki

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