Le témoignage poignant d’une jeune veuve de 23 ans à Minembwe dévoile une réalité brutale que vivent les femmes Banyamulenge au cœur des Hauts-Plateaux. À travers ses mots, transparaît une résilience imposée par les circonstances :
« Nous sommes bien conscientes que nos maris ou nos fiancés peuvent partir au front à tout moment, lorsque les ennemis nous assaillent, avec une probabilité de mourir égale à celle de survivre. Il faut se préparer à tout. Nous ne raisonnons pas en termes de calculs, comme "Que deviendrai-je s’il meurt ?", mais plutôt en nous disant : "C’est mon amour, et même s’il est candidat à la mort, je dois lui donner la chance de continuer à vivre à travers sa descendance en lui offrant un enfant." Ainsi, il ne disparaîtra à jamais. Après tout, c’est pour nous que ces jeunes hommes se battent et qu’ils meurent. En pensant de cette manière, nous trouvons la force d’accepter d’être à la fois mères et veuves, et d’assumer toutes les conséquences. »
Ces paroles traduisent un amour inconditionnel et une acceptation résignée face à une vie marquée par l’insécurité, la guerre et l’absence de choix. Ces jeunes femmes deviennent mères en pleine adolescence, parfois veuves dans la foulée, confrontées à des responsabilités écrasantes. Ce n’est que lorsque la réalité économique et sociale devient insupportable qu’elles se trouvent submergées par l’angoisse, remettant tout à une providence incertaine :
« Quand la misère atteint son comble, on ne sait plus à quel saint se vouer. Dans ces moments-là, on attend, sans rendez-vous, que la providence du ciel vienne à notre secours. Sinon, on sombre dans la dépression.»
Ce témoignage est loin d’être un cas isolé. Il reflète la dure réalité infligée au peuple Banyamulenge par des milices communautaires voisines, appuyées ou tolérées par les Forces Armées de la République Démocratique du Congo (FARDC). Ces femmes, malgré leur jeune âge, se retrouvent au centre d’un conflit qui ne leur laisse aucune échappatoire.
Un cri de survie dans un contexte d’abandon
Les paroles de cette jeune veuve soulignent une vérité accablante :
« Vous, qui vivez dans un autre monde, vous avez le privilège de faire des choix, un privilège qui nous est refusé. Même si vous êtes Banyamulenge, vous n’êtes concernés qu’indirectement. Nous, en revanche, sommes directement touchées. Nous accorder le luxe de faire un choix, dans le contexte actuel des Hauts-Plateaux, revient à accepter notre éradication. Et cela, nous ne l’acceptons pas. »
Ces mots mettent en lumière la lutte quotidienne des Banyamulenge pour leur survie. Être une femme, une épouse, une mère, et une veuve dans un contexte de guerre ne relève pas du choix, mais d’une nécessité imposée par les conditions de vie extrêmes.
"Ceux qui se permettent de nous juger, de rire de nos mariages précoces, de critiquer l’absence des fêtes traditionnelles ou de penser que nous manquons de réflexion, le font sans comprendre la réalité dans laquelle nous vivons. Ils ont peut-être raison depuis leur monde éloigné, mais ici, dans le chaos et l’insécurité, la survie nous impose ses propres règles. Nos choix ne sont pas des caprices : ils sont des réponses désespérées à une vie marquée par la violence et le manque de tout. Si ces mêmes personnes vivaient au cœur de cette tourmente, elles ne feraient pas autrement.
La situation des Banyamulenge sur les Hauts-Plateaux illustre une forme de violence systémique, où l’insécurité, les déplacements forcés, et l’appauvrissement poussent des communautés entières à vivre dans une résignation tragique. Ce témoignage interpelle sur l’urgence d’une prise de conscience internationale et d’actions concrètes pour mettre fin à cette souffrance.
Nos ennemis, eux, agissent avec une intention claire et déclarée : nous déraciner, nous effacer complètement de cette terre qui est la nôtre. Leur hostilité, bien que douloureuse, ne surprend pas. Mais devons-nous céder à la peur, abandonner, tendre nos cous pour qu’ils les tranchent ? Non ! Mille fois non ! Nous refusons d’accepter la défaite et de nous résigner à leur objectif d’extermination.
Ce qui nous brise plus encore, c’est la trahison de ceux que nous appelions autrefois nos frères. Ceux qui, au lieu de nous tendre la main, nous abandonnent à notre sort, seuls face aux bourreaux. Leur silence complice est une forme de condamnation, et leurs mots venimeux, un poignard planté dans nos cœurs. "Twishwe n’ubukehwa, naho zirya mbwa, ntaco zizadutwara." Nous sommes abandonnés, mais cela ne nous détruira pas totalement, car notre force réside dans notre résilience.
Ces frères, avec leurs déclarations perfides et leurs félicitations aux bourreaux, sont encore plus cruels que les balles de nos ennemis. Leur trahison est un fardeau insoutenable, une douleur qui dépasse celle de nos pertes physiques.
Dieu seul connaît le sort qu’il réserve à ceux comme Akagara, dont les paroles empoisonnées tuent nos âmes et ravagent nos esprits. Si nos ennemis nous prennent nos corps, ces frères égarés détruisent notre moral et notre volonté. Pourtant, malgré tout, nous restons debout. Car notre dignité et notre foi en un avenir meilleur surpassent leurs coups, qu’ils soient physiques ou verbaux. Nous ne céderons pas, car notre lutte est un cri de vie, un refus de disparaître."
Les paroles empoisonnées qui tuent nos âmes et ravagent nos esprits
Un Appel à la Solidarité
Les veuves, comme cette jeune fille de 23 ans portant déjà le poids d’une vie marquée par le deuil et les épreuves, ne réclament ni pitié ni charité. Elles demandent quelque chose de plus fondamental : la reconnaissance de leur dignité humaine. Cette dignité ne se mesure pas par leur résilience face à l'adversité, mais par leur droit inné à une vie libre de violence, de pauvreté, et de marginalisation.
Dans les régions déchirées par des conflits complexes, où des alliances troubles et des intérêts cachés alimentent des cycles sans fin de souffrance, ces femmes et ces jeunes filles se retrouvent souvent laissées à elles-mêmes. Leur courage, bien que remarquable, ne devrait jamais être le seul levier pour assurer leur survie. Au contraire, leur situation appelle à une intervention collective, un acte de justice et de solidarité.
Leur appel est clair : elles ne cherchent pas à être réduites à des symboles de souffrance ou à des objets de charité. Elles veulent des opportunités réelles pour reconstruire leur vie, pour éduquer leurs enfants, pour participer activement à la vie économique et sociale de leur communauté. Elles veulent briser les chaînes de la misère et de la violence qui leur sont imposées, non pas par choix, mais par un système qui les abandonne.
Et nous, en tant qu’individus ou communauté, pouvons-nous rester sourds à cet appel ? Pouvons-nous détourner les yeux face à une injustice si flagrante ? Offrir notre concours, c’est bien plus qu’un geste philanthropique : c’est un acte d’humanité. Cela peut prendre la forme d’un soutien financier, d’une plateforme pour amplifier leurs voix, ou d’initiatives pour leur offrir des outils et des ressources pour devenir autonomes.
Réfléchissons à notre rôle. Comment pouvons-nous, chacun à notre manière, contribuer à mettre fin à cette spirale de violence et de pauvreté ? Il ne s’agit pas simplement d’aider une veuve ou une jeune fille, mais de participer à la construction d’un monde où leur dignité est respectée et où leur courage n’est plus une condition pour vivre.
En répondant à leur appel, nous faisons bien plus qu’un acte de bonté. Nous redonnons espoir, et nous participons à l’édification d’une société plus juste. Alors, qu'attendons-nous ?
Le 11 decembre 2024
Paul Kabudogo Rugaba
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