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Paul KABUDOGO RUGABA

Taire ou parler de l’histoire des Banyamulenge : un débat sans fondement


Le débat sans objet en cours, largement diffusé à travers des plateformes comme « Spaces X », tourne autour d'une question qui semble dénuée de fondement, mais qui suscite pourtant des échanges passionnés. D'un côté, il y a ceux qui affirment que les Banyamulenge ne sont pas Tutsi, insistant sur l'importance de ne plus parler de l’histoire, parce que, selon eux, cela ne mène à rien la communauté. De l'autre côté, se trouvent ceux qui soutiennent qu’il est impossible d’effacer l’histoire des origines, une question centrale à l’identité.

Les individus, les peuples, et même les nations, peuvent changer de nom selon leurs choix et circonstances. L’exemple de la République Démocratique du Congo (RDC) est clair à cet égard. Au cours de son histoire, ce pays a changé de nom plusieurs fois, ses provinces ont été redécoupées et rebaptisées à maintes reprises, un processus qui continuera chaque fois que cela sera jugé nécessaire.

Ce phénomène s'inscrit dans l’évolution naturelle des sociétés et des peuples. Nos pères, par exemple, ont hérité des noms donnés par leurs parents, mais lors de leur conversion au christianisme, beaucoup ont été rebaptisés avec des noms à connotation chrétienne. Aujourd'hui encore, des baptêmes dans les églises continuent à suivre ce même schéma. Même une personne déjà connue sous un nom officiel peut, moyennant une simple demande administrative, le changer. Cela montre que le changement de nom est une réalité humaine et sociale qui accompagne les transformations de la société.

Les Banyamulenge, eux aussi, ont changé de nom, et ce fait, désormais, fait partie, de leur histoire. Ce changement n'est pas un hasard, ni un caprice ; il avait sa raison d'être, profondément ancrée dans les réalités historiques, politiques et sociales. Ce processus de changement de nom était justifié et fait partie intégrante de leur identité actuelle. Il ne faut ni le cacher ni en avoir honte, mais au contraire, le reconnaître et le dire tout haut. C'est une marque d'évolution, un signe que chaque peuple s’adapte aux circonstances qui le traversent, tout en gardant un lien avec son passé.

Cependant, si les noms peuvent changer au gré des époques, l’histoire elle-même reste immuable et chaque fait et chaque événement viennent s’y s’ajouter et l’agrandir. Qu'elle soit glorieuse ou pleine de défaites, heureuse ou tragique, elle demeure l’ancrage qui nous relie à nos racines. On peut, et on doit parfois, corriger l’histoire pour la rendre plus exacte, pour la clarifier, mais la déformer ou tenter de l’effacer est un acte injustifiable et dangereux. Oublier son histoire, c'est se perdre soi-même, c'est perdre une partie essentielle de son identité. Une communauté, un peuple, ou une nation qui renie son passé court le risque de déraciner ses futures générations.

L’histoire, qu’elle soit source de fierté ou de douleur, constitue la base sur laquelle nous construisons notre présent, notre avenir, un trésor inaliénable. Reconnaître le passé, avec ses forces et ses faiblesses, est la seule manière de véritablement avancer.  

Quelle serait donc la signification des commémorations sans l’histoire? Ne sont-elles pas une manière de la préserver, de nous rappeler d'où nous venons ? faut-il les supprimer pour ne plus avoir l’occasion de parler de l’histoire?

Les commémorations sont des moments forts qui permettent de maintenir vivant le lien entre le passé et le présent. Elles sont bien plus qu'une simple cérémonie ou un rituel ; elles sont une manière de préserver notre histoire, de nous rappeler d’où nous venons, et de transmettre à la génération future les leçons et les mémoires d'événements significatifs. À travers elles, nous honorons ceux qui nous ont précédés, nous célébrons les victoires collectives, et nous faisons face aux tragédies et aux douleurs qui ont façonné notre identité.

L'oubli de l'histoire est une menace sérieuse. Les commémorations existent précisément pour éviter que les souvenirs ne s'effacent, pour que les erreurs du passé ne soient pas répétées, et pour que les sacrifices consentis ne tombent pas dans l'oubli. Effacer ou altérer ces événements sous prétexte que certains noms ou récits ne plaisent pas à une partie de la population est non seulement injuste, mais également dangereux. L'histoire ne peut être caviarder simplement parce que certaines vérités dérangent ou ne s'accordent pas avec des sensibilités contemporaines.

Peu importe que certains noms ou épisodes ne plaisent pas à certains individus ; cela n'a aucune importance. Les faits historiques sont immuables, et ce n'est pas parce qu'ils sont inconfortables ou difficiles à accepter qu'ils doivent être caviarder. Le passé est ce qu’il est, avec ses lumières et ses ombres, et il nous appartient de le reconnaître dans son intégralité.

Il est particulièrement dangereux de recommander à la jeunesse d'oublier leur histoire. Il va de soi que c’est un lavage du cerveau. Une génération qui ignore d'où elle vient est vulnérable, déconnectée de ses racines, et susceptible de répéter les erreurs de ses prédécesseurs. Où cela pourrait-il nous mener ? L'oubli de l'histoire nous prive de notre identité, de notre compréhension du monde, et de notre capacité à construire un avenir plus éclairé.

Ce débat est sans objet parce que, personne, parmi le Banyamulenge n’a jamais suggéré de changer le nom des « Banyamulenge » pour le remplacer par un autre, mais on veut bien savoir l’histoire. Ceux qui prétendent le contraire utilisent cet argument comme un prétexte pour effacer des pans entiers de l'histoire, une démarche aussi dangereuse qu’impossible à réaliser.

Il est tout à fait normal d’avoir des opinions divergentes au sein d’une communauté. C'est le fondement même de la démocratie. Chez les Banyamulenge, comme dans toute autre société, des différences de points de vue existent et devraient être respectées. Ce qui est déplorable, cependant, c'est que certains, au lieu de partager leurs idées de manière constructive, se livrent à des attaques injustifiées, accusant ce qui ne pensent pas comme eux d’être téléguidés par des forces obscures. Ce genre de discours relève de la propagande, une désinformation qui divise inutilement la communauté.

Ce comportement est particulièrement dangereux car il alimente les discours de ceux qui cherchent à nuire à la communauté. En fournissant des arguments infondés aux détracteurs de la communauté, ces divisions internes ne font que renforcer l’agressivité des ennemis extérieurs. Il est crucial de comprendre que ces querelles internes affaiblissent la communauté et donnent des raisons supplémentaires à ses agresseurs de justifier leurs actions.

En somme, l’histoire des Banyamulenge, comme celle de toute autre communauté, mérite d’être respectée et protégée. Les tentatives de la caviarder ou de la déformer ne peuvent conduire qu’à un affaiblissement collectif. Nous devons, au contraire, valoriser notre histoire, la corriger si nécessaire, mais jamais l’effacer, car elle est la clé de notre identité.

Je pense que le véritable débat qui devrait nous préoccuper aujourd'hui est celui de savoir comment ramener la paix et la sécurité de manière durable chez les Banyamulenge. En effet, les discussions autour de l'identité ou de l'histoire, bien qu'importantes, détournent l'attention des véritables enjeux actuels : la survie d'une communauté en proie à des violences incessantes, aux déplacements forcés et à la menace d'extermination. Il est urgent de recentrer les efforts sur la protection des Banyamulenge et la stabilisation de la région.

La situation est d'autant plus préoccupante que le gouvernement semble plutôt contribuer à attiser les tensions. En dépêchant Justin Bitakwira, une figure controversée, pour exacerber les divisions et envenimer une situation déjà explosive, le pouvoir central montre une irresponsabilité flagrante. Bitakwira, au lieu de jouer un rôle de pacificateur, a été un acteur clé dans la montée de la violence et des tensions dans les Hauts-Plateaux, en particulier contre les Banyamulenge. Ses discours incendiaires et ses actions irresponsables alimentent le climat susceptible d’exploser d’un moment à l’autre.


Le 11 sept. 2024

Paul Kabudogo Rugaba

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