Oui, tu ne tueras pas ! Tu ne laisseras pas tuer non plus !
Les troubles de Hauts et Moyens-Plateaux de Mwenga, Fizi et Uvira, suivis des récentes opérations de récupération, à Kipupu, des vaches pillées par les MAI-MAI, continuent de réveiller les consciences pour le moins restées longtemps dormantes. Ils ont enfin mis sur scène entre autres, autorités politiques, acteurs de la société civile et clergés. Ces derniers, on le comprend parfaitement, s’accordent tous sur le même violon : celui de faire des Banyamulenge les auteurs d’un massacre qui n’a eu lieu que dans l’imagination de ceux qui en font leur fonds de commerce. Ces derniers, sûrs d’électriser les âmes de ceux qui s’exposent à leurs discours, sont sans ignorer/ ou à la limite sont d’avis que ceux qui font les frais de leurs déclarations sont naturellement les hommes, les femmes et les enfants membres de la communauté Banyamulenge contre lesquels, ces multiples sorties médiatiques par les illustres personnalités ne font que les rapprocher de ce qui le terrifie depuis la nuit de temps : « l’épuration ethnique ». Une menace qui ne date pas d’hier, mais dont la virulence a pris une autre dimension après que les MAI-MAI aient jeté, plus que jamais les bases de leur pouvoir de nuisance en début 2017.
Oublie ou péché par omission
Selon l’Apôtre Jacques, péché par omission revient à « être capable de faire le bien, et ne pas le faire » (JC 4,17). Tandis que le père Alain Tomasset, jésuite et professeur de théologie morale au Centre Sèvres, définie le péché par omission comme « ne pas mettre en œuvre une obligation qui est la nôtre ». Et pour le père Philippe Marsset, curé de Notre-Dame de Clignancourt à Paris, il s’agit de « rester muet devant l’injustice ou quand on n’ose pas dire sa foi, ne pas prendre la parole pour éviter un conflit ».
En effet, c’est seulement en date du 1er Août 2020 que Mgr. Sébastien Muyengo Mulombe l’évêque d’Uvira sortit sa touche, ou du moins sa cartouche pour fustiger « publiquement et solennellement» les affres de la guerre qui sévi dans la zone pastorale dont il est l’ordinaire local comme on dit dans le langage juridique du droit canonique. Son message est intitulé « Déclaration sur les massacres à Kipupu, 16-17 et à Sange, le 30 Jillet 2020 ». Un message tendant pour l’essentiel à ce que le gouvernement s’occupe de raffermir son autorité publique dans cette partie du pays et invitant les différentes communautés à la cohabitation pacifique. Louable et vivement attendu de la part de l’évêque du diocèse d’Uvira.
Cependant, Son Excellence Monseigneur Muyengo sait mieux que qui conque, que sur presque toute l’étendue de sa zone pastorale d’Uvira, les villages Banyamulenge ont été décimés, et ce, par les MAI-MAI des communautés Babembe, Bafuliru et Banyindu. Le récent bilan enregistré fait état de 307 villages Banyamulenge détruits et de centaines de personnes tuées. C’est sans compter les centaines de milliers de vaches emportées dont certaines proviennes des villages situés à quelques encablures des positions avancées et/ou les camps militaires des FARDC. Il ne s’agit pas ici, comme certains peuvent le penser, d’un bilan déclamatoire. La liste de villages et les noms de victimes existent.
Si on se livrait à un simple exercice de calcul mathématique, et qu’on estime qu’en moyenne un village a été attaqué une fois, on se fera une idée approximative sur le nombre d’attaques orchestrées par les MAI-MAI contre les Banyamulenge. Mais cela n’aura malheureusement pas suffit pour faire réagir les défenseurs de la paix ? Pourtant, le bilan ne cesse de s’alourdir du jour au lendemain tellement, en lieu et place du sens de patriotisme que Mgr. Muyengo a dignement recommandé dans son message, les MAI-MAI s’obstinent plutôt à aiguiser l’appétit pour les délicieux rôtis de bœufs et de veaux pillés.
Sans doute, l’homme d’église sait pertinemment qu’à la suite de ces destructions massives, bon nombre de diaconies sous la supervision de la paroisse Mater Dei de Minembwe, pour certaines loin, très loin de Kipupu ne sont plus ou ne sont quasiment plus opérationnelles depuis des mois et/ou des années. Pour rappel, les diaconies de Katanga, Kagogo et Bijombo (en zone d’Uvira), Kalingi, Tubangwa et Ilundu (en zone de Mwenga) et Mutenja, Kalambi et Kabanja (en zone de Fizi) sont devenues des entités désertées par leurs habitants et fidèles catholiques. Les villages liés à ces diaconies, constituant par ce fait, et dans le langage pastoral, des communautés de base, « Shirika » en swahili, ont été complètement détruits, et devenus dès lors des sanctuaires pour les oiseaux et les animaux sauvages. Le curé de la Paroisse Mater Dei de Minembwe qui, pour raisons de sécurité reste bloqué à Uvira depuis plusieurs mois n’a certainement pas manqué de rapporter sur ces événements, d’en faire part à sa hiérarchie, et d’en faire la mise à jour sur une fréquence régulière. Le conseil diocésain, le conseil des consulteurs et le conseil presbytérien sont quelques occasions au cours desquelles ces genres de situations ne manquent pas d’être discutés en présence de l’évêque du diocèse.
Point n’est besoin ici de rappeler que les MAI-MAI et leurs alliés étrangers (Red Tabara, FNL et Forebu) sont les auteurs de ces immenses destructions des villages Banyamulenge. Des auteurs dont Mgr. Sébastien Muyengo Mulombe, malgré son statut, ou plutôt à cause de statut, s’est gardé de mentionner par les noms dans son message. Comme si les crimes contre les Banyamulenge devaient rester, sommes toutes anecdotiques !
Par son communiqué, son Excellence Monseigneur Muyengo a solennellement invité les différentes communautés à « aiguiser leur sens patriotique qui passe entre autres par le savoir-vivre ensemble, la cohabitation pacifique les uns à côté des autres au-delà de leurs différences de tribus, ethnies, langues etc. ». Par cet appel à la paix, l’évêque d’Uvira a montré son sens et son essence de rassembleur. En revanche, il s’est contenté de circonscrire la guerre des Hauts et Moyen-Plateaux de sa zone pastorale aux seuls événements de Kipupu, en portant, bien entendu, les accusations sur les nommés Banyamulenge, présentés ici en « auteurs de massacres ».
Dans les villages et diaconies susmentionnés, les MAI-MAI d’obédience Babembe, Bafuliru et Banyindu ont détruit les maisons d’habitation, ont pillé les vaches et autres biens et ont incendié les écoles et les infrastructures de santé. Ils ont tué les membres de la communauté Banyamulenge et ont violé leurs femmes et filles à ciel ouvert. Aujourd’hui, la disette et la cherté des vivres et non vivres s’ajoutent à ces éléments d’agitation. Ne serait-il pas vertueux pour ce personnage religieux de se prononcer aussi ouvertement sur les violences perpétrées par les MAI-MAI à l’encontre de la communauté Banyamulenge ?
Bien entendu, il n’est pas ici question d’inciter son Excellence à intervenir à temps et à contretemps dans toutes les situations de conflit. Cependant, au nom de la charité que l’on reconnait dans le chef du Bon pasteur du diocèse d’Uvira, l’obligation d’intervenir pour cette autre couche de la population de son diocèse lui incombe. Sinon, comment croire que ce communiqué de la part d’un des hommes les plus influents du pays soit voué à un dénouement heureux, lorsqu’il ne daigne pas mentionner la moindre attaque par MAI-MAI contre la communauté Banyamulenge ? En réalité, personne ne trouverait choquante cette fraîche et récente attitude si ce conflit, ici riche en destructions et en pillages n’avait pas commencé il y a un peu plus de trois ans.
Très récemment, j’ai parlé au désormais ancien Mwongozi de Katanga et Directeur de l’EPCC Katoki, Mr. Kanyarubindo Ndatabaye Télesphore. Ce dernier m’a raconté, avec horreur qu’il ressent encore aujourd’hui- comme si c’était hier - trois attaques par les MAI-MAI et les affres que celles-ci ont engendrés dans son village et dans les villages voisins entre avril et août 2017. Un récit digne d’un spectacle apocalyptique. Un jeune MAI-MAI de la communauté (voisine) Bafuliru qui parla au téléphone à un de ses anciens voisins Banyamulenge (partis de Katoki/Katanga sous la musique de la détonation par la mitraillette) s’est venté des revers infligés aux paisibles citoyens Banyamulenge, et d’ajouter émerveillement, je cite: « Kiri n’elya nyumba yo mwa directeur twagiyokya » C-à-d, même sur la maison du directeur, nous y avons mis le feu!!
Depuis tout ce temps, sauf mémoire fugace, je n’ai vu ni entendu un seul communiqué officiel de la part de Mgr. l’évêque Mgr. Sébastien Muyengo Mulombe , condamnant les auteurs de ces horreurs qui se sont abattus sur l’une de communautés de sa zone de contrôle!
Il n’en demeure pas moins vrai que face à ce silence vis-à-vis de leurs atrocités, les victimes Banyamulenge se sentent plutôt insultés devant cet acharnement sur les événements de Kipupu. Des événements qui en réalité n’ont débouché qu’à l’éveil d’une forme de sournoises attitudes de conspiration dans la sphère de certaines élites de la province. Ces victimes ne peuvent réaliser qu'il n’y a plus de place pour la justice et la vérité, tellement les grandes personnalités semblent se ranger du côté de ceux qui les oppriment. Sinon, pourquoi ne pas croire que derrière cette façade et cette fiction sur les massacres de Kipupu, se cache une autre réalité, un autre agenda ? En d’autres termes, ne pas fustiger les attaques par les MAI-MAI contre la communauté Banyamulenge revient, ipso facto, à soutenir une milice aux mains tâchées du sang des innocents. Ce sang qui a coulé lors de viols et mutilations de seins et organes génitaux de trois femmes Banyamulenge de Minembwe.
Pour insister sur le saugrenu et controversé bilan de plus de 200 morts à Kipupu, Mgr. Muyengo a souhaité compter les personnes disparues parmi les « massacrées ». On peut lui faire le bénéfice de doute sur sa bonne foi. Mais faut-il aussi reconnaitre et faire savoir publiquement que l’ancien Mwongozi et directeur Kanyarubindo, sa famille ainsi que ses voisins qui se comptent par dizaines de milliers d’habitants ayant fuient les affres de MAI-MAI sont aussi des disparus ? Quelle considération que l’homme de Dieu se fait-il de ces derniers ? Probablement qu’il ne se souvient plus d’eux. Peut-être aussi parce qu’il y a eu négligence comme il s’agissait de cette minorité tutsi, par ailleurs accusée à tort et à travers de préparer la balkanisation du pays. Sinon, la négligence ne serait-elle pas, dans ce cas, un crime passionnel ?
Comment peut-on donc espérer de parvenir à arrêter ce spectre de violences et à promouvoir la cohabitation pacifique, sans pointer du doit la véritable cause et les véritables acteurs de ce conflit qui dure depuis plus de trois ans ? Comment y remédier sans appliquer le remède au mal qui l’agite ?
Oui, tu ne tueras pas ! Tu ne laisseras pas tuer non plus !
Kinshasa, le 05 août 2020
Mukulu Le Patriote
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