Le 13 août 2024, la 20ème commémoration du massacre de Gatumba a été marquée par des messages poignants de deux hommes illustres, dont les propos ont suscité des débats intenses. Ces deux figures sont Monseigneur Jérôme Gapagwa Nteziryayo, évêque émérite du diocèse d’Uvira, et l’ambassadeur Joseph Mutaboba, tous deux profondément respectés dans leurs domaines respectifs.
Monseigneur Nteziryayo, un Munyamulenge natif du territoire de Fizi en République Démocratique du Congo (RDC), est reconnu comme le premier docteur Munyamulenge, ayant obtenu son doctorat en Histoire de l'Église à Rome. Son message, comme à l'accoutumée, était empreint de compassion, d’amour et de solidarité envers les victimes et les survivants du massacre. Il a fait allusion aux liens historiques entre les Banyamulenge et les Banyarwanda en utilisant le terme 'Banyarwanda,' un geste qui, malgré son intention de rappeler une fraternité historique, a déclenché des réactions mitigées.
De l’autre côté, l’ambassadeur Joseph Mutaboba, originaire du Rwanda mais ayant grandi et étudié en RDC, a également pris la parole lors de cet événement. Mutaboba, qui a occupé des postes prestigieux, notamment en tant que représentant spécial conjoint adjoint de l'Union africaine et des Nations Unies au Darfour, a également mis l'accent sur l’ancienete historique des Banaymulenge et des Banyarwanda dans ce qui est devenu La RDC. Son parcours est marqué par une carrière diplomatique impressionnante, ayant été l'Envoyé spécial du Président rwandais dans la région des Grands Lacs et Représentant permanent du Rwanda auprès de l'Organisation des Nations Unies. Son message, tout comme celui de Nteziryayo, était chargé d'émotion et d'un appel à l'unité.
Cependant, ce n'est pas le contenu de leurs discours qui a provoqué des remous au sein d'un groupe de Banyamulenge qui se veut radicaliste, mais plutôt l'utilisation du terme 'Banyarwanda.' les membres de ce groupe ont perçu cette référence comme une tentative de les associer de manière trop étroite au Rwanda, un lien qui, dans le contexte actuel de tensions politiques et ethniques, peut être mal interprété ou utilisé à des fins de stigmatisation.
« Igihugu ca Kongo cyaje gisanga abanyamurenge bariyo, cyaje gisanga a abanyarwanda bariyo, muri Nord-Kivu no muri Sud = Le Congo, en tant que pays, est venu à l'existence alors que les Banyamulenge étaient déjà là, tout comme les Banyarwanda » a dit Joseph Mutaboba citant Dugu. Cette vérité, bien que parfois ignorée ou déformée, est indéniable. Qui peut nier que les Banyamulenge étaient là, et qu’à partir du nord de Bukavu, des Banyarwanda étaient installés bien avant la colonisation ? Qui peut nier que le Nord-Kivu faisait partie du Rwanda jusqu'en 1910 ? Et qui peut nier que, jusqu’en 1968, les Banyamulenge étaient appelés Banyarwanda ?
Ces faits sont inscrits dans l'histoire, et les ignorer ou les travestir ne change rien à leur véracité. Si les Banyamulenge ont choisi de changer de nom, c'est leur droit légitime. De la même manière, ceux qui n'ont pas changé de nom ont également ce droit. Alors, où est le mal et le mensonge dans les propos de Jérôme Gapagwa et Joseph Mutaboba ? Ces hommes n'ont fait qu'exprimer une réalité historique, une vérité que certains préfèrent oublier ou manipuler à des fins politiques.
Leurs messages, loin de semer la discorde, rappellent simplement l’histoire commune qui lie ces communautés à la région. Cette histoire ne peut être réécrite pour servir des agendas politiques, et elle ne devrait pas être utilisée pour justifier des persécutions ou des divisions. Au contraire, elle devrait être reconnue et respectée comme un fondement de l'identité de ces peuples, un témoignage de leur présence légitime et de leurs droits inaliénables.
Pendant ce temps, le maire de Bukavu, dans une lettre faisant suite à la demande d’autorisation, a refusé le même jour d’autoriser la commémoration de cet événement, invoquant des raisons de sécurité. Selon certaines sources, ce refus aurait été encouragé par quelques membres de la communauté Banyamulenge, qui auraient joué un rôle clé dans cette décision.
Curieusement, ce refus du maire, ainsi que l'attitude de ces Banyamulenge qui ont contribué à faire obstruction, n’ont pas suscité les mêmes réactions virulentes sur les réseaux sociaux que les discours de Monseigneur Nteziryayo et de l’ambassadeur Mutaboba. Il n'y a eu aucun débat enflammé sur Space X ou sur d'autres plateformes pour dénoncer ces agissements.
Cela soulève une question importante : pourquoi de telles réactions ont-elles été réservées exclusivement aux deux orateurs, alors que d'autres actions, potentiellement plus nuisibles à la mémoire des victimes, sont passées sous silence ? Cette différence de traitement interroge sur les motivations profondes derrière ces critiques, et sur la manière dont la communauté Banyamulenge aborde les questions de mémoire, d’identité, et de solidarité.
Cependant, il est important de reconnaître une certaine maladresse dans les propos de Mutaboba, notamment dans un extrait difficile à traduire car son sens précis reste flou. Certains pensent qu'il l'a fait délibérément, tandis que d'autres estiment qu'un discours improvisé n'a pas la rigueur d'un texte écrit. Faut-il accorder de l'importance à cette maladresse ou la considérer simplement comme un lapsus linguae insignifiant ?
“Haribintu bagiye bayigisha mugifaransa bitaba mukinyarwanda. Bavuze race, bakabyita ubwoko, Bavuga ngo etnie, n’ubwoko, ibintu byose n’ubwoko. iyo mvuze go ubwoko bwacu bwabanyarwanda, ninabyo byiza nibyo nemera. Noneho abayarwanda b’abanyamurenge bishwe , nubu bacicwa, iryo jambo tukamenya naho ryaturutse, ariko twitwa abanyarwanda. Bo bakaba ari n’abatutsi, kuburyo bwihariye, ibyo muzehe yavugaga nibyo. Koko no mumateka yacu, birazwi ko hari abatutsi bagiye n’inka zabo.”
« Il y a des notions enseignées en français qui n’ont pas de correspondance directe en kinyarwanda. Par exemple, le terme "race" est traduit par "ubwoko", tout comme "ethnicité" est également rendu par "ubwoko". Tout est résumé sous ce même mot. Quand je parle de notre "ubwoko bw’abanyarwanda", c’est cette appellation que je trouve appropriée.
Les Banyarwanda Banyamulenge, qui ont été massacrés et continuent de l'être, se reconnaissent sous ce nom, bien que leur spécificité soit d'être particulièrement Tutsi. Ce que disait Muzehe est correct : dans notre histoire, il est bien connu que des Tutsis sont partis avec leur bétail pour s'établir ailleurs."
L'organisateur du Space X où ces discussions ont eu lieu a posé une question fondamentale : « En quoi cela importe-t-il d'appeler les Banyamulenge les Banyarwanda ? » Cependant, les réactions, tant pendant qu'après la discussion sur la plateforme, semblaient aller bien au-delà de ce que l’on aurait pu attendre. Un radicalisme à outrance, alimenté par une phobie du terme Tutsi et Banyarwanda, a émergé, une tendance à effacer l’histoire, montrant combien le sujet est encore profondément sensible et polémique.
Alors, comment pourrait-on exprimer autrement cette réalité historique ? La vérité est que Jérôme et Joseph ont dit ce qui est, et ce qui a toujours été : une reconnaissance des racines profondes et indéniables des Banyamulenge et des Banyarwanda dans cette région. Ceux qui cherchent à contester ou à dénaturer cette vérité devraient réévaluer leur compréhension de l’histoire et accepter que l’identité de ces peuples ne peut être effacée ou modifiée par des décrets ou des discours politiques.
Les réactions des des quelques Banyamulenge qui voient les chose autrement peuvent être vues sous plusieurs angles. D’une part, la communauté est extrêmement sensible aux associations avec le Rwanda, surtout dans un contexte où les relations entre les deux pays sont souvent tendues et où de tels liens peuvent être politiquement instrumentalisés. D’autre part, il y a une peur sous-jacente de voir l'identité Banyamulenge se dissoudre ou être réduite à un simple sous-groupe rwandais, une crainte exacerbée par des décennies de marginalisation et de persécution.
Ainsi, ces réactions, bien que surprenantes, révèlent les complexités identitaires et les vulnérabilités politiques au sein de la communauté Banyamulenge. Elles témoignent également de la difficulté à naviguer dans un espace où l'histoire, l'identité et la politique sont inextricablement liées.
Faut-il effacer l’histoire pour complaire et ne plus avoir des problèmes avec le pouvoir de Kinshasa ? Cette question soulève un dilemme profondément ancré dans la réalité complexe de la République Démocratique du Congo. Mais malheureusement, les faits sont têtus. Effacer l’histoire ne fait que masquer temporairement les vérités, sans jamais réellement les faire disparaître.
Est-il nécessaire de s’aliéner, de renoncer à son essence pour être considéré comme un Congolais à part entière ? Faut-il que les Banyamulenge renient leur identité tutsi pour être acceptés ? Si tel est le cas, on demandera aussi de couper le nez pour l’aplatir, dans le but de répondre aux critères de la « congolisation ». Cette exigence est non seulement absurde, mais elle est également dangereuse, car elle pousse les individus à une hystérie identitaire qui nie leur histoire et leur essence.
Il est important de faire preuve de raison et de ne pas contraindre les gens à de telles extrémités. La présence de dignitaires tels que Joseph Mutaboba et Monseigneur Jérôme Gapangwa à la commémoration du massacre de Gatumba était non seulement appropriée, mais elle a également apporté une grande dignité à l’événement. Ces deux figures méritent des éloges pour leur engagement et leur message de solidarité, plutôt que des réprimandes pour avoir rappelé des liens historiques.
Le véritable problème en RDC n’est pas un problème d’histoire, même si certains leaders la déforment pour trouver un prétexte à la persécution des Banyamulenge. Le problème réside avant tout dans les esprits du leadership de ce pays. C’est là que se trouve la racine du mal, dans cette incapacité à accepter la diversité et à reconnaître les droits légitimes de tous les citoyens, sans discrimination. Effacer ou réécrire l’histoire ne résoudra jamais ces problèmes. Au contraire, c’est en affrontant la vérité et en reconnaissant pleinement chaque identité que la RDC pourra construire une société juste et inclusive.
Les Banyamulenge sont des Tutsi, tout comme les Tutsi d'autres pays, et rien ne peut effacer ce caractère naturel. Les manipulations politiques peuvent adopter des positions machiavéliques dans leurs discours pour atteindre leurs objectifs, mais elles ne peuvent changer la réalité de cette identité profonde.
Joseph Mutaboba et Jérôme Gapagwa se distinguent par leur amour inébranlable pour les Tutsi en général, et les Banyamulenge en particulier. Ces deux hommes ont participé à la commémoration du massacre de Gatumba, non pas pour des raisons politiques, mais dans un esprit de fraternité avec les survivants et en mémoire des victimes. Leur geste est empreint de dignité et de solidarité, une reconnaissance de la douleur et du sacrifice de leurs frères et sœurs.
Il est déconcertant de constater qu’au moment où ces hommes rendaient hommage aux victimes, certains Banyamulenge n’ont même pas daigné accorder la moindre importance à cet événement. Ils ont plutôt choisi de passer la journée dans l’allégresse, dansant machinalement le Igisirimba. Quel contraste saisissant ! Cela révèle une indifférence qui détonne face à la gravité de l’histoire.
Les Banyamulenge qui ont été tués à Gatumba l’ont été parce qu’ils étaient Tutsi. Ils sont les victimes d’un génocide contre les Tutsi, une tragédie qui fait écho au génocide qui s’est déroulé au Rwanda. Joseph Mutaboba et Jérôme Gapagwa ont fait preuve de courage et de dignité en accomplissant leur devoir, en honorant la mémoire de ceux qui ont péri.
Ceux qui osent critiquer ces deux hommes pour leur engagement moral et leur solidarité devraient humblement présenter leurs excuses. Au lieu de chercher à diviser, il est temps de reconnaître la vérité et de se tenir aux côtés de ceux qui luttent pour la mémoire et la justice.
Le 30 aout 2024
Paul Kabudogo Rugaba
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