Excellence Monseigneur,
Nous, chrétiens catholiques Banyamulenge membres et ressortissants du diocèse d’Uvira, saisissons cette occasion pour exprimer notre profonde préoccupation relative à vos sorties médiatiques et déclarations relatives à ce qui est à la une des journaux et des radios tant au niveau local, national qu’international faisant écho à vos prises de position sur le contexte sécuritaire qui caractérise une grande partie de votre diocèse en général, et en particulier la commune rurale de MINEMBWE.
En effet, Excellence Monseigneur, depuis que le Saint Siège vous a confié la responsabilité de présider à la destinée de notre diocèse en date du 08 Décembre 2013[1], vous vous êtes investi dans des projets de développement, notamment, la création d’une université privée à Uvira. A cela s’ajoute d’autres actions positives telles que la création de nouvelles paroisses et d’un certain nombre de quasi-paroisses à travers le diocèse. L’on ne saurait également taire la mise en place de la radio Notre Dame du Tanganyika qui rayonne sur une bonne partie du diocèse, et même au-delà, permettant ainsi aux fidèles catholiques de suivre la messe surtout en cette période de crise sanitaire liée au COVID-19 où les grands rassemblements pour la messe et autres cérémonies religieuses ne sont pas encouragés.
Monseigneur, comme vous le savez mieux que nous, au-delà de la crise à COVID-19, le diocèse d’Uvira est particulièrement confronté à d’autres formes de crises, notamment des crises sécuritaires et humanitaires. Ces crises ont été jusqu’ici caractérisées d’une part, par des affrontements entres groupes armés d’obédience ethnique qui ont eu pour conséquence des déplacements massifs de populations et, d’autre part, des inondations dues aux pluies diluviennes qui se sont abattues sur la ville d’Uvira et ses environs. Toutes ces crises ont eu en commun, non seulement des pertes en vies humaines, des destructions d’habitations et des pertes massives de biens et économies de ménages, mais aussi un impact négatif sur le bon fonctionnement du diocèse ainsi que sur l’harmonie et la cohésion sociale entre ses habitants.
La crise sécuritaire qui dure depuis 2017, et même avant, est caractérisée par un acharnement d’une coalition de la milice MAI-MAI[2] et d’autres groupes armés étrangers (dont le Red-Tabara, la FNL et le FOREBU), contre la communauté Banyamulenge au motif qu’ils veulent les chasser de la RDC car ils les considèrent, à tort, comme des étrangers. Les paisibles citoyens sont ceux qui subissent de plein fouet les affres de cette guerre sans nom. On enregistre à ce jour des centaines de personnes tuées, plus de 300 villages et infrastructures sociales détruits (y compris les églises, les écoles et les centres de santé), et des centaines de milliers de vaches emportées.
Excellence Monseigneur, depuis juin 2020 et suite à l’enlisement de la situation sécuritaire dans une bonne partie du diocèse d’Uvira, en particulier dans la Paroisse Mater Dei, les fidèles auraient souhaité vous entendre - autant que vous l’avez fait pour KIPUPU et pour l’installation officielle du Bourgmestre de la Commune rurale de Minembwe - plaider en faveur de la paix et de la reconstruction d’une dizaine de diaconies catholiques désertées ou détruites et pour lesquelles, à certains endroits, des tabernacles ont été profanés. Pour rappel, les diaconies de Katanga, Kagogo, Bijombo, Kalingi, Tubangwa, Mutenja, Kalambi et Kabandju n’existent désormais que par leurs noms ! De même, alors que tout le monde attendait que vous formuliez des vœux de condoléances à l’endroit des tous les chrétiens et fidèles catholiques ayant vu leurs proches tués par des groupes armés, vous avez souhaité briller par votre silence. En revanche, vous vous êtes illustré, Monseigneur, par des discours de haine assortis de fausses informations dans le but d’opposer ou de renvoyer dos-à-dos les Banyamulenge (en d’autres termes vos chrétiens catholiques de cette communauté) aux autres communautés du Sud-Kivu en particulier, et de la RDC en général. En voici quelques exemples :
1. Situation de Kipupu
Votre discours à propos du malheureux événement survenu à Kipupu, que nous avons tous déploré a laissé entrevoir une nuance de haine et une tendance partisane que vous affichez contre les Banyamulenge. Il s’agissait d’une déclaration alarmiste, assortie d’inculpations subjectives par lesquelles vous dénonciez un massacre de plus de 200 personnes perpétré, selon vous, par « les Banyamulenge » contre d’autres communautés. Ceci est contraire au rapport des autorités provinciales sur cette question. En effet, la commission d’enquête parlementaire qui s’est rendu par la suite sur les lieux du massacre présumé a fait état de 15 morts. Nous nous sommes interrogés, Excellence, sur la motivation qui vous a poussé à vous empresser à fournir des informations non vérifiées. Il est préoccupant qu’après ladite enquête des autorités compétentes qui a fait état de 15 morts, 15 morts de trop sans doute, mais sans commune mesure avec les pertes qu’avait subi jusque là la communauté Banyamulenge, vous n’avez pas rectifié le tir. Ceci vous aurait racheté et aurait sensiblement agrandi votre figure. D’aucuns se demandent s’il s’agit là d’un sincère souci de vérité ou d’une manipulation délibérée de l’opinion nationale et internationale.
2. La question relative à la délimitation géographique et à l’installation des animateurs de la commune rurale de Minembwe
Excellence Monseigneur,
Nous, chrétiens catholiques Banyamulenge membres et ressortissants du diocèse d’Uvira, avons été grandement surpris du contenu de vos déclarations du 5 octobre 2020 relayé par plusieurs médias tant nationaux qu’internationaux par lequel vous faites croire au monde que l’érection de Minembwe en commune rurale est à l’origine du conflit actuel et que l’acte d’installation officielle de ses animateurs en date du 28 septembre 2020 en est un facteur détonateur. Excellence Monseigneur, vous savez, en âme et conscience que ce que vous avez dit était tout, sauf vérité. Tout porte à croire, Monseigneur, à une pure invention de votre part n’ayant pour mobile que de satisfaire les intérêts de quelques courants populistes actuels et, comme Pilate, de plaire à la foule, faisant ainsi fi des cris et de la misère de la communauté Banyamulenge! Votre déclaration sur les limites géographiques de la commune rurale de Minembwe, déclaration flopée de fausses informations et tellement médiatisée, ne devrait pas émaner de la personnalité d’un évêque qui, en principe dispose de tous les moyens pour vérifier la crédibilité d’informations reçues, y compris, pour le cas précis, des collaborateurs chrétiens dans la paroisse Mater Dei de Minembwe. Mais hélas vous avez choisi de vous engager et -avec vous d’engager tout le diocèse d’Uvira- dans un débat politique sur base d’informations mensongères et fanatiques.
Permettez-nous, Excellence Monseigneur, de vous informer -sans peur d’être contredits un jour-, ni par la commission scientifique annoncée par le chef de l’Etat, ni par celle que vous pouvez diligenter, que les limites de la commune ne dépassent pas celles de deux des 10 diaconies de Paroisse Mater Dei de Minembwe, à l’occurrence, la diaconie de Minembwe-centre et la diaconie de Kabandju qui se trouvent dans cette commune. En d’autres termes, on estime à 1/10ème la superficie de la Commune de Minembwe par rapport à celle de la paroisse Mater Dei de Minembwe, une des paroisses du diocèse d’Uvira, et pas la plus spacieuse. Pouvez-vous donc imaginer en quoi cela diffère des grandes dimensions de la superficie que vous avez mentionnées dans votre point de presse du 05 octobre dernier? Il est donc clair que vous ne connaissez point les limites de la paroisse Mater Dei de Minembwe, car il vous aurait servi de référence et- sauf en cas de mauvaise foi- vous aurait aidé à éclairer l’opinion tant nationale qu’internationale au lieu de jouer le rôle de pionnier dans la désinformation.
Monseigneur, avec ces entorses à la vérité, vous avez mal informé les institutions de la RDC, les 80.000.000 de congolais, la CENCO, vos amis et connaissances et les chrétiens du diocèse d’Uvira. Vos contre- vérités sont même allé au-delà des frontières nationales. Sur base de vos informations, l’autorité publique a pris la décision qui porte préjudice au bon fonctionnement de son institution. Et par ce fait même, vous avez mis en cause les textes légaux, ainsi que les animateurs de certaines institutions en l’occurrence Son Excellence Monsieur Azarias Ruberwa, Ministre d’Etat en charge de la Décentralisation et réformes institutionnelles. Il y a à se demander si vos déclarations n’ont pas pour objectif de salir et décrédibiliser cette personnalité et de détruire son image tant au niveau national qu’international !
Monseigneur, une affirmation aussi anachronique et tendancieuse que l’on retrouve dans votre discours est le fait de qualifier les Banyamulenge des « personnes identifiées comme des congolais d’origine rwandaise et d’ethnie Tutsi » comme pour les distinguer et les isoler d’autres congolais ! Il est à se demander si, derrière cette affirmation ne se cache une manœuvre visant la stigmatisation d’un groupe parmi tant d’autres, en le faisant percevoir dans l’imaginaire collectif comme étant à la base des problèmes d’insécurité dans cette partie du pays. Ce genre de propos devenu le leitmotiv des discours de certains politiciens qui ont décidé d’engager une guerre contre la communauté des Banyamulenge vous range du côté de nos détracteurs alors que nous espérions voir en vous l’impartialité d’un homme de Dieu.
Excellence Monseigneur, nous pensons qu’il est important de tenir compte de la sociologie de votre communauté chrétienne, leur histoire et leur vie actuelle pour prêcher la Bonne Nouvelle selon laquelle « Il n’y a plus ni Grec ni Juif dans la maison du Seigneur ». Il n’y a donc pas de raison de créer des divisions et d’imaginer les différences identitaires parmi les fidèles au sein de votre diocèse. Nous estimons que ces genres de déclarations sont indignes de votre rang, surtout dans le contexte politique actuel de la RDC. C’est plutôt le moment pour vous de prêcher le pardon et la tolérance mutuelle, de rassembler, d’unir « afin que tous soient un (Ut unum sint) ».
En effet, Excellence Monseigneur, en tant que leader religieux, les mots que vous avez prononcés, ce flot d'entorses à la vérité et ces histoires inventées à la-va-vite pour répondre aux sollicitations de la masse extrémiste ont été à l’origine d’un certain nombre d’incidents immédiats et les dégâts pourraient même s’étendre dans le temps.
. Déjà au lendemain de votre sortie médiatique (et donc le 06 juin), une attaque par la milice MAI-MAI a été perpétrée contre le village de Kahwela, non loin de Minembwe, faisant état d’une personne assassinée, des dizaines de familles déplacées et d’une centaine de vaches emportées; · Après votre discours, et comme une trainée de poudre, les réseaux sociaux ont été inondés de messages de haine contre les Banyamulenge en général, et en particulier, contre le ministre d’Etat Azarias Ruberwa issu de la communauté Banyamulenge et pointé du doigt par vous-même comme le maitre d’œuvre de l’imaginaire projet de « balkanisation » de la RDC et sur lequel se déverse désormais une avalanche de messages hostiles. Votre déclaration ne serait-elle pas un moyen de vulgariser ce concept pour le mettre sur le dos du Ministre Azarias Ruberwa tellement vos propos font de lui un bouc émissaire privilégié? En tant qu’intellectuel, vous devriez faire preuve de plus de sens critique au lieu de vous embarquer aveuglement dans cette campagne d’intoxication orchestrée délibérément par des pseudo-leaders pour s’attirer la sympathie des populations abandonnées à leur propre sort et qui ne savent plus à quel saint se vouer ; · Selon votre déclaration, les Banyamulenge ne sont que de nationalité congolaise acquise et non d’origine, qui veulent occuper des terres ou territoires des communautés « autochtones » que vous prétendez incarner et parmi lesquels les Banyamulenge ne se retrouvent pas. C’est vous Monseigneur qui avez dit ceci : «…plutôt que de parler de commune rurale, nos populations considèrent qu’il s’agit ici des « terres ou territoires occupés ». Peut-on dire, Monseigneur, que vous-mêmes vous déclarez ainsi publiquement que les Banyamulenge ne font pas partie de « vos populations » ? Les avez-vous reniés ? Des quelles terres parlez-vous ? Que connaissez-vous à vrai dire de ces terres dont vous parlez ? Votre attitude, nous rappelle l’épisode de Pierre et Jésus (Marc 14 :66-72), à la différence de Pierre qui nia Jésus par peur d’être tué, vous semblez avoir nié la communauté Banyamulenge par envie de les livrer à leur détracteurs ! · Partout en RDC, ceux qui s’inspirent de votre déclaration appellent déjà à la mobilisation populaire pour bouter hors des frontières de la RDC, tout membre de la communauté Banyamulenge ; des messages d’incitation à la haine qui passent par la Radio Uvira, à travers son émission « Amani-Maendeleo», en français « paix-développement » en sont une bonne illustration. La manifestation organisée à Uvira, le 14 octobre s’inscrit dans la concrétisation de votre mot d’ordre. · Les déclarations incendiaires de certains parlementaires et autres politiciens pêcheurs en aux troubles prennent comme référence vos déclarations pleines d’inexactitudes. Pourtant, Excellence Monseigneur, vous connaissez très bien tous les détours de l'immense caverne du conflit qui écume les Hauts-Plateaux de votre diocèse. Vous connaissez parfaitement les acteurs sur le terrain, le réseau des tireurs des ficelles et les victimes innocentes pour ne pas vous tromper sur ce que votre discours émaillé d’une bonne dose de haine devait avoir comme effet-levier pour exacerber le climat de méfiance entre communautés de votre diocèse.
De ce fait, nous, chrétiens catholiques Banyamulenge membres et ressortissants du diocèse d’Uvira:
- Estimons que vos sorties médiatiques s’inscrivent dans le cadre de cacher les vrais problèmes et défaillances qui caractérisent le diocèse pour le moment et que vous feriez bon de prioriser. Personne d’autre ne trouvera solution à votre place. Vous feriez mieux de vous occuper de tant d’autres maux qui rongent le diocèse et laisser la politique aux politiciens;
- Attirons votre attention et l’attention des évêques membres de la CENCO sur votre grave responsabilité à exacerber le conflit intercommunautaire. Vous feriez mieux d’être un médiateur neutre privilégiant un sincère dialogue qu’un défenseur des droits de la majorité au détriment d’une minorité.
- Suggérons que vous preniez courage de vous excuser auprès du peuple congolais, auprès du président de la République, auprès des fidèles catholiques, auprès de la CENCO, auprès du Saint-Siège, auprès du Ministre d’Etat Azarias Ruberwa et auprès de la communauté Banyamulenge en particulier, pour avoir péché par omission d’abord en passant sous silence les graves exactions dont les Banyamulenge sont victimes depuis 2017, et ensuite pour avoir fourni des informations dénuées de vérité et péché ainsi contre les principes du Bon Pasteur. L’humilité et la réconciliation avec son peule oblige !
- Osons vous recommander de changer le fusil d’épaule et d’œuvrer sincèrement pour la paix, la réconciliation et la cohésion sociale, en prenant l’étendard du Leader pour la paix (Heureux les artisans de la paix);
- Vous demandons de lancer un appel à l’aide humanitaire pour toutes les communautés vivant dans les Hauts Plateaux d’Uvira, Mwenga et Fizi, qui sont aujourd’hui victimes directes et indirectes des affres de guerres et d’insécurité.
Excellence Monseigneur, la communauté Catholique des Banyamulenge membres et ressortissants du diocèse d’Uvira croit toujours en votre volonté de prendre le Saint -Esprit pour guide en vue de calmer le tollé suscité par votre discours, et d’apaiser les esprits et vous aider à travailler résolument pour la recherche de la paix et de la vérité et continuer le ministère de Jésus pour le bien des fidèles de votre diocèse en particulier, et de celui de tous les congolais en général. La paix paie, la haine détruit, la mauvaise communication détruit, l’esprit de Dieu construit.
Soyez assuré, Excellence Monseigneur, que nos prières vous accompagnent pour demander au Saint-Esprit de guider votre œuvre apostolique au bénéfice de tous les chrétiens de votre diocèse.
Que la Sainte Vierge-Marie, Mère du Verbe intercède pour nous.
Fait à Bukavu, le 23/ 10/ 2020
[1] Mgr Sébastien-Joseph Muyengo Mulombe a été nommé évêque d’Uvira par le pape François le 15 octobre 2013. Il fut installé le 08 décembre de la même année. [2] Les MAI-MAI sont une milice armée composée de jeunes gens issus de quelques communautés voisines des Banyamulenge, en l’occurrence les Bafuliru, les Banyindu et les Babembe et qui ont pour alliés les groupes armés étrangers dont le RED-Tabara, la FNL et le FOREBU, tous originaires du Burundi et opposés au régime actuel de ce pays.
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