Médiation religieuse et diplomatie française : entre espoirs et contradictions dans le conflit congolais
- Paul KABUDOGO RUGABA
- 21 mars
- 3 min de lecture

Le mercredi 19 mars 2025, des représentants de la Conférence épiscopale nationale du Congo (CENCO) et de l'Église du Christ au Congo (ECC) étaient à Paris pour rencontrer le président français Emmanuel Macron. Lors de leur entretien avec RFI, ils ont déclaré qu'il fallait voir le conflit en RDC dans toutes ses dimensions. Selon eux, ce n'est pas simplement un conflit armé mais aussi un conflit sociologique, idéologique, économique et géostratégique. Ils prônent une approche holistique qui inclut une réflexion rationnelle sur les causes profondes du conflit, telles que la question identitaire, les conflits communautaires, la gouvernance, la sécurité collective et le vivre-ensemble avec les pays voisins.
Cependant, la question centrale reste de savoir si ces représentants sont réellement engagés dans une démarche impartiale et sincère. Les discours portés par certains prélats, bien que percutants, peuvent masquer des réalités contraires. L'histoire a déjà montré que certaines figures ecclésiastiques congolaises ont préféré les jeux politiques au véritable engagement pour la paix. Lors de la Conférence Nationale Souveraine, Monseigneur Laurent Monsengwo avait impressionné l'opinion par ses discours philosophiques et poétiques, mais il fut aussi le premier à abandonner son confrère Monseigneur Kanyamachumbi, secrétaire de la Conférence épiscopale du Zaïre (CEZ) devenu CENCO, lorsqu'il fut publiquement humilié et chassé pour des raisons tribalistes.
De même, lors de la proclamation de la commune de Minembwe, les pasteurs de l'ECC ont relayé dans leurs prédications la théorie du génocide contre les Banyamulenge, attisant ainsi les tensions intercommunautaires en disant qu'il s'agissait de la balkanisasation. À Kesenga, Uvira, au sein de la communauté de la 8ème CEPAC, la chaire fut même offerte à Justin Bitakwira Bihohai pour prêcher la haine, sous les applaudissements des fidèles. Ces faits mettent en lumière une partialité qui remet en question leur volonté réelle de médiation.
L'attitude de certains évêques et prélats ne fait qu'accentuer le scepticisme. Monseigneur Muyengo, évêque catholique du diocèse d'Uvira, a publiquement fait l'éloge des Wazalendo après que ces derniers aient endeuillé les Banyamulenge. Aussi, la paroisse de Minembwe est attaquée depuis huit ans par ces mêmes groupes armés, et jamais Monseigneur Muyengo n'a adressé un message de condoléances à ses fidèles de Minembwe. Pendant que les chrétiens de cette paroisse souffraient de la faim, la Caritas diocésaine restait surchargée de vivres non distribués.
Ces incohérences répétées interrogent sur la véritable volonté de certains acteurs religieux à contribuer à la paix et à la réconciliation. Une médiation crédible exige une impartialité absolue, loin des préjugés et des clivages politiques qui fragilisent davantage un pays déjà en proie à de profondes divisions.
Le passage de ces dignitaires religieux à Paris suscite de nombreuses interrogations. La France, en raison de son passé interventionniste en République démocratique du Congo, ne saurait être considérée comme un acteur neutre dans la recherche de solutions durables à la crise actuelle. L’opération Turquoise, initiée par Paris en 1994, et son soutien certain aux Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR) ont largement contribué à l’éclatement des conflits en 1996, dont les répercussions se font encore sentir aujourd’hui.
Dans ce contexte, l’entretien avec le Président Emmanuel Macron soulève des attentes, mais aussi des doutes quant à son issue réelle. Comme l’a rapporté Mgr Nshole : « La France n’est pas n’importe quel pays dans le cadre des Nations Unies et de la diplomatie internationale. Voilà pourquoi nous avons pensé à expliquer et à demander le soutien du Président Emmanuel Macron. En tout cas, il nous a écoutés attentivement, il a partagé nos analyses, il est d’accord avec nous par rapport aux perspectives présentées dans le guide du Pacte social et il promet son soutien dans la mesure du possible. »
Cependant, peut-on réellement espérer une avancée significative ou s’agit-il d’une initiative de plus, vouée à l’inefficacité comme tant d’autres tentatives de médiation dans le passé ? L’histoire récente démontre que de nombreuses négociations, loin de favoriser un règlement équitable du conflit, ont souvent servi d’outils de communication sans impacts concrets sur le terrain.
Au-delà de la dimension diplomatique, cette démarche met également en lumière une instrumentalisation préoccupante de la religion à des fins politiques. Une médiation crédible en RDC ne peut s’envisager que sous l’angle de l’impartialité et d’une volonté sincère de rétablir l’équilibre entre les différentes communautés. Or, les actions passées et présentes de certains acteurs religieux tendent à accréditer l’idée que cette initiative pourrait être davantage motivée par des intérêts sous-jacents que par un réel souci de paix et de justice.
La paix ne saurait être obtenue par des déclarations d’intention ou des discours symboliques. Elle exige un engagement ferme et constant en faveur de la vérité, de la justice et de la protection de toutes les victimes, sans distinction d’origine. Seule une approche transparente et équilibrée permettra d’ouvrir la voie à une résolution durable du conflit congolais.
Le 21 mars 2025
Paul Kabudogo Rugaba
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