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Paul KABUDOGO RUGABA

Mot de réflexion à nos leaders d’opinion


Depuis quelques années, une tendance préoccupante s'installe aussi au sein d'un groupe de Banyamulenge, focalisée sur les hostilités avec le Rwanda. Ce dernier est de plus en plus pointé du doigt comme étant la source des malheurs du Congo en général, et en particulier de ceux des  Banyamulenge. Cette approche, qui gagne du terrain, semble cependant ignorer une réalité essentielle : nous avons déjà de nombreux ennemis, tant internes qu’externes. Ces ennemis sont si nombreux et si puissants que nous ne savons plus comment les combattre efficacement. Parmi eux, le plus redoutable et inexorable reste sans aucun doute le gouvernement de la République Démocratique du Congo (RDC). Face à cet adversaire implacable, pourquoi vouloir en ajouter d’autres, encore plus puissants, comme le Rwanda ? Quel est le calcul derrière cette démarche ?

On accuse souvent le Rwanda de nous avoir trahis. Peut-être que cette accusation n’est pas totalement infondée. Cependant, dans le monde d’aujourd’hui, chaque État agit avant tout pour défendre ses propres intérêts. Le gouvernement rwandais ne fait que remplir son devoir en prenant des décisions qui avantagent son pays. Il n’y a rien de surprenant à cela, et on ne peut pas vraiment lui en vouloir pour ça. Si la RDC adoptait une attitude similaire en défendant réellement les intérêts de ses citoyens, et en particulier ceux des Banyamulenge, la situation serait tout autre. Tout serait sur les rails. Le véritable problème réside dans le fait que le gouvernement congolais lui-même a créé une brèche, un vide, que le Rwanda et d’autres pays ont su exploiter.

Ainsi, la plus grande trahison que nous subissons n’est pas celle du Rwanda, mais bien celle de notre propre gouvernement. Le gouvernement congolais a systématiquement failli à son devoir de protéger tous ses citoyens, et en particulier les Banyamulenge. Il nous a laissés à la merci des groupes armés, de la propagande ethnique et des conflits récurrents. Au lieu de nous concentrer sur des ennemis externes, il est crucial de reconnaître que le danger le plus destructeur se trouve à l’intérieur même de nos frontières.

Plutôt que de renforcer des inimitiés externes, il serait plus sage d’adopter une approche stratégique qui évite de créer un climat de mésentente, de manque de confiance et de suspicion avec des voisins qui, dans bien des cas, nous ont offert refuge lorsque la menace d'extermination était imminente. La division interne affaiblit toujours un peuple, et chercher à renforcer des conflits inutiles avec des puissances extérieures ne ferait qu’aggraver davantage notre situation, déjà extrêmement fragile.

Nous devons plutôt concentrer nos efforts sur la véritable menace : un gouvernement congolais qui refuse de reconnaître notre existence, nos droits et qui est incapable de nous protéger. En tant que Banyamulenge, notre survie ne dépend pas de l’hostilité que nous pourrions entretenir vis-à-vis de certains pays voisins, mais bien de notre capacité à bâtir des alliances stratégiques et à renforcer notre position sur le plan local et international. La situation politique régionale est complexe, et chaque acteur, qu’il s’agisse du Rwanda ou d’autres pays, agit avant tout selon ses intérêts propres.

Les tensions diplomatiques fluctuent, mais les États finissent toujours par trouver des compromis. Les ennemis d’hier peuvent devenir les amis de demain. Toutefois, même si les relations diplomatiques s’apaisent, est-ce que cela suffira à résoudre définitivement les problèmes auxquels sont confrontés les Banyamulenge et les Tutsi de la RDC en général ? La réponse est non. Le problème des Banyamulenge ne peut se régler uniquement par des accords entre États. C’est à nous, Banyamulenge, de veiller à ce que nos intérêts ne soient pas sacrifiés dans ces dynamiques politiques.

Pour cela, nous devons cultiver l’unité, la vigilance et développer une stratégie qui nous permettra de survivre et de prospérer dans un environnement hostile, jusqu’à ce que nous puissions, par notre résilience, transformer cet environnement en un espace plus amical. Les véritables batailles se jouent à l'intérieur du Congo, et la seule façon de les gagner est de maintenir notre cohésion interne tout en adoptant une approche pragmatique et diplomatique vis-à-vis de nos voisins et des puissances régionales.

Il est grand temps d'arrêter de traiter la République Démocratique du Congo (RDC) comme un enfant innocent, constamment déchargé de ses responsabilités. À chaque fois que le pays est confronté à des crises d'insécurité, de mauvaise gestion ou de défaillances institutionnelles, la tendance est de pointer du doigt des puissances extérieures, des acteurs régionaux ou des forces invisibles comme étant les principales causes des malheurs du Congo. Certes, des facteurs extérieurs peuvent contribuer aux défis auxquels le pays est confronté, mais il est fondamental de reconnaître que le cœur du problème réside au sein même de l'État congolais. Le Congo doit pleinement assumer ses responsabilités.

Le discours qui consiste à constamment dédouaner le gouvernement congolais, en rejetant la faute sur les voisins, les multinationales ou d'autres forces, ne résoudra rien. Au contraire, cela ne fait qu'aggraver la situation. Le pays est riche en ressources, et pourtant, sa population demeure plongée dans une misère extrême. L'insécurité est omniprésente, des territoires entiers échappent au contrôle de l'État, et les institutions sont gangrénées par la corruption. Ce n'est pas une conspiration internationale qui en est la cause, mais bien une faillite chronique de la gouvernance congolaise.

L'idée de la souveraineté ne peut pas seulement être un concept théorique brandi lors des discours officiels, elle doit se matérialiser par une gestion responsable des affaires internes, le respect des droits des citoyens et la mise en place d'un système de sécurité qui fonctionne.

Plus de 60 ans après son indépendance, il est inacceptable de continuer à le traiter comme une victime passive. Le pays doit se prendre en main et assumer pleinement ses responsabilités en tant que nation. Le refus de le faire ne fait que renforcer l'image d'un État incapable et irresponsable, incapable d’assurer la sécurité de son peuple et d’exploiter ses richesses pour le bien commun.

En conclusion, décharger la RDC de ses responsabilités est une approche inefficace et dangereuse. Elle perpétue l’instabilité et empêche toute forme de progrès. Le Congo doit affronter ses propres échecs et mettre en place les réformes nécessaires pour sortir de ce cycle infernal de crise.


Le 08 sept.2024

Paul Kabudogo Rugaba

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