Le Conflit à l’Est de la RDC : Une Lecture Historique et Sécuritaire Nécessaire
- Paul KABUDOGO RUGABA
- 5 avr.
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Le conflit actuel dans l’est de la République Démocratique du Congo (RDC) ne peut être compris sans une lecture fine et rigoureuse de l’histoire complexe de la région. Toute analyse fondée sur des raccourcis idéologiques ou des préjugés hasardeux ne peut que nous éloigner des solutions durables. Car derrière les récits simplistes se cachent des réalités historiques douloureuses, profondément enracinées dans les tragédies de la région des Grands Lacs.
Depuis plusieurs siècles, les populations tutsi congolaises sont établies dans la région du Kivu, bien avant le tracé des frontières issu de la Conférence de Berlin de 1885. À l’instar des autres communautés, elles occupaient des terres, disposaient de chefferies et administraient leur territoire selon leurs propres structures sociopolitiques.
Cependant, vers les années 1930, l’administration coloniale belge a décidé de supprimer ces entités traditionnelles en les plaçant sous la tutelle de leurs communautés voisines. Cette décision arbitraire constitue l’une des racines profondes du conflit identitaire dans la région — un sujet sensible que ni la France ni la Belgique ne semblent disposées à aborder de manière responsable.
Au lendemain des indépendances, cette marginalisation historique s’est transformée en persécutions répétées, les populations tutsi étant ciblées en raison de leur identité et de leur héritage culturel.
Depuis l’arrivée des génocidaires dans l’est de la République démocratique du Congo, des milliers de Congolais tutsi ont été massacrés. Des femmes ont été violées, des enfants arrachés à leurs familles, et une population entière contrainte à l’exil, dans l’indifférence totale des autorités de Kinshasa, qui n’ont opposé aucune résistance à ces atrocités.
Aujourd’hui, plus de 100 000 réfugiés congolais ayant fui ces violences vivent au Rwanda, tandis que l’Ouganda en accueille plus de 400 000. Le Burundi et le Kenya hébergent chacun, non moins de 50 000. Ce sont précisément ces populations marginalisées, oubliées des mécanismes étatiques, que le Mouvement du 23 mars (M23) -Twirwaneho — un mouvement congolais — dit défendre, en réclamant pour elles les droits élémentaires reconnus à tout citoyen : le droit de vivre en paix sur leur sol.
Le mardi 11 mars 2025, plusieurs personnes ont exprimé avec justesse leur indignation face à des propos jugés racistes et discriminatoires liés au contrôle au faciès. Ces réactions sont le reflet d’un engagement contre toute forme de haine et d’injustice.
Mais imaginez un pays — la République démocratique du Congo — où le simple fait d’avoir certains traits physiques, d’être perçu comme tutsi, suffit à être condamner à mort. Dans plusieurs régions, des personnes sont exécutées sommairement en raison de leur apparence ou de leur origine présumée. Ces violences, loin d’être cachées, sont filmées, diffusées sur les réseaux sociaux et parfois même glorifiées.
Pire encore, des appels à la haine sont relayés publiquement, parfois émanant des plus hautes sphères de l’État. Des témoignages font état d’actes de cannibalisme, filmés et partagés sans scrupule, dans un climat d’impunité totale.
Plusieurs responsables politiques ont publiquement adopté ce discours de haine. En juillet 2023, le député Justin Bitakwira, ancien ministre et proche du président Félix Tshisekedi, déclarait que « chaque Tutsi est un criminel né » et « a le même créateur que le diable ». Le ministre de la Justice, Constant Mutamba, a, quant à lui, appelé à la traque des populations rwandophones, allant jusqu’à promettre l’amnistie à ceux qui participeraient à cette chasse. Le ministre d’État et porte-parole du gouvernement, Patrick Muyaya, a forgé l’expression « le poison rwandais », qu’il a répété à plusieurs reprises lors d’interventions médiatiques sur des chaînes internationales telles que TV5 Monde et France 24.
Ce type de rhétorique, désormais banalisé dans les discours officiels, alimente une idéologie d’exclusion ethnique particulièrement dangereuse. Il s’agit d’un mécanisme de propagande destiné à détourner l’attention des véritables causes des crises congolaises : mauvaise gouvernance, corruption endémique, impunité, et gestion opaque des ressources naturelles.
Pendant que l’attention est concentrée sur l’est du pays, les principales richesses de la RDC — cobalt, cuivre, or — sont exploitées dans des provinces comme le Haut-Katanga ou le Lualaba, souvent au profit d’intérêts étrangers ou d’un cercle restreint d’élites économiques et politiques.
Il est temps de dépasser les narratifs réducteurs qui présentent la crise de l’est comme un simple conflit lié à un prétendu pillage transfrontalier. Les racines de l’instabilité sont avant tout historiques, politiques et structurelles.
Aujourd'hui, si la coalition FDLR–FARDC – force burundaises – Wazalendo constitue une menace pour le Rwanda, la mécanique infernale du génocide est toujours, toujours à l'œuvre en RDC
Depuis maintenant trois décennies, le Rwanda est confronté à une menace persistante à sa frontière ouest, dans l’est de la RDC. Cette menace ne relève pas de simples tensions diplomatiques, mais d’un enjeu de survie nationale. Elle est née des cendres du génocide perpétré contre les Tutsis en 1994, lorsque plus d’un million d’hommes, de femmes et d’enfants furent massacrés pour la seule raison de leur appartenance ethnique.
Dans une indifférence quasi-générale de la communauté internationale, les auteurs du génocide des Tutsi — aidés, rappelons-le, par des puissances occidentales telles que la France et la Belgique — ont trouvé refuge à l’est de la République démocratique du Congo. Cette région, également peuplée de Tutsi congolais, est devenue un véritable sanctuaire pour les génocidaires, avec la complicité tacite ou active de certains acteurs internationaux. Il serait naïf de croire que cet accueil s’est fait sans connaissance de cause ; les conséquences étaient non seulement prévisibles, mais elles se sont très vite matérialisées par une série de massacres ciblés contre les Tutsi de RDC, qui se poursuivent jusqu’à aujourd’hui.
Ce cauchemar, pourtant récurrent et documenté, continue d’être minimisé par la communauté internationale, en particulier par les deux États historiquement impliqués dans le drame rwandais. Cette situation alarmante semble tout simplement absente de leurs priorités, comme si elle ne cadrait pas avec les agendas politiques établis.
Depuis leur repli en RDC, ces milices génocidaires ont eu tout le loisir de se regrouper, de se réorganiser et de se réarmer. Leur objectif est sans ambiguïté : « terminer le travail ». Autrement dit, poursuivre l’extermination des Tutsis, au Rwanda comme ailleurs dans la région. Ces groupes, notamment les Forces Démocratiques de Libération du Rwanda (FDLR), sont officiellement reconnus comme organisation terroriste par les États-Unis et les Nations Unies. Bien qu’elles soient sous sanctions européennes, elles continuent à opérer avec une impunité troublante. Une impunité que seul un soutien logistique ou diplomatique indirect — notamment de la France et de la Belgique — peut expliquer.
Pire encore, les FDLR sont aujourd’hui alliées aux Forces armées de la RDC (FARDC), aux forces burundaises et à une nébuleuse de milices pro-gouvernementales regroupées sous l’appellation fallacieuse de « Wazalendo » (patriotes). Cette coalition militaire, soutenue officiellement par Kinshasa, constitue une menace directe et durable, non seulement pour la sécurité du Rwanda, mais aussi pour toute personne à l'apparence ou à l'identité tutsie, qu'elle soit congolaise, rwandaise ou burundaise.
Il s’agit là d’une menace multiple : militaire, idéologique et ethnique. Pourtant, la Mission des Nations Unies pour la stabilisation en RDC (MONUSCO), présente depuis plus de 25 ans, s’est montrée d’une complaisance déconcertante. En dépit des preuves tangibles de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité commis par les FDLR et leurs alliés, cette mission n’a jamais pris de mesures fermes pour désarmer ces groupes, comme l'exige pourtant son mandat. Cette inaction interroge.
Pourquoi la communauté internationale refuse-t-elle d’aborder les causes profondes du conflit ? Pourquoi choisit-elle de condamner les conséquences tout en occultant sciemment les origines du mal ? N’y aurait-il pas, derrière cette posture ambiguë, un agenda caché — géopolitique, économique ou idéologique — qui dicte le silence et l’inaction ?
À défaut de réponses franches, les faits parlent d’eux-mêmes. Et tant que l’on refusera d’affronter les véritables racines de cette crise, les massacres continueront, avec le sang des innocents pour seule monnaie de l’indifférence.
le 4 avril 2025
Paul Kabudogo Rugaba
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