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Paul KABUDOGO RUGABA

Lancement de la Bible en Langue Kinyamulenge : Une Initiative Nécessaire ?

Lancement de la Bible en Langue Kinyamulenge : une Initiative Nécessaire ?


Récemment, une partie de la Bible a été publiée en langue Kinyamulenge, une initiative louable pour certains et pour d'autres suscite de nombreuses questions. Quels en sont les véritables motifs ? Les raisons avancées – à savoir que le message biblique n’a pas été bien compris parce que l’on a utilisé des Bibles en langues étrangères telles que le Kinyarwanda, le Kirundi et le Swahili – ne semblent pas justifier pleinement la nécessité de traduire la Bible en Kinyamulenge. Le Kinyamulenge, étant une variante du Kinyarwanda et du Kirundi avec lesquels il partage 99 % de similitudes, rend cette justification discutable.

Pour aller plus loin, il est important de se demander si cette initiative vise réellement à combler un fossé linguistique ou si elle poursuit d’autres objectifs. La création et la promotion de traductions en Kinyamulenge pourraient, par exemple, être perçues comme un moyen de renforcer l’identité culturelle des Banyamulenge, de valoriser leur langue et de leur offrir un symbole de reconnaissance et de respect.

Cependant, cette démarche soulève aussi des interrogations sur l’efficacité et la pertinence de multiplier les traductions bibliques dans des langues extrêmement proches. Plutôt que de créer de nouvelles variantes linguistiques, ne serait-il pas plus judicieux de travailler à l’amélioration et à l’accessibilité des traductions existantes en Kinyarwanda, qui est déjà largement compréhensible pour les locuteurs du Kinyamulenge ?

Il est essentiel de continuer à analyser les véritables besoins linguistiques et culturels des communautés concernées, afin de déterminer la meilleure manière de promouvoir leur langue et leur patrimoine tout en évitant une fragmentation linguistique excessive qui pourrait nuire à l’unité et à la cohérence culturelle.


Une Nouvelle  Grammaire et un Nouveau  Dictionnaire Partirtiel avec une Démarche Discutable

La première question qui se pose est celle de la nécessité de développer une nouvelle grammaire pour le Kinyamulenge. Pourquoi élaborer une grammaire distincte alors qu'une version bien établie existe déjà pour le Kinyarwanda ? Les initiateurs de ce projet sont-ils capables de de structurer, d’établir les règles et de trouver l’étymologie des mots de manière distincte?

Élaborer une nouvelle grammaire pour le Kinyamulenge pose plusieurs défis. La grammaire du Kinyarwanda est déjà bien documentée et acceptée. Tenter de créer une version distincte pour le Kinyamulenge pourrait non seulement être redondant, mais également source de confusion. Les Banyamulenge, ayant été en contact avec diverses langues, principalement le Kinyarwanda, dont le projet veut se dissocier, ont déjà intégré ses influences linguistiques multiples dans leur dialecte. Par conséquent, structurer une grammaire distincte pourrait s'avérer complexe et potentiellement incohérent.

De même, la création d'un nouveau dictionnaire contenant quelques centaines de mots de difference, alors qu'il en existe un en Kinyarwanda qui en compte des milliers de commun, semble superflue. La pertinence de cette démarche est discutable, surtout si l'on considère que cette nouvelle langue pourrait ne comporter que peu de mots supplémentaires par rapport au Kinyarwanda. La première ébauche de ce dictionnaire a déjà montré ses limites, ressemblant davantage à un manuel d'alphabétisation pour les illettrés qu'à un véritable dictionnaire. Un dictionnaire doit être élaboré avec rigueur et sérieux pour être utile et respecté.

Créer une nouvelle langue, même basée sur une variante existante, nécessite une méthodologie rigoureuse et une compréhension approfondie des structures linguistiques. Les différences entre le Kinyamulenge et le Kinyarwanda sont-elles suffisamment significatives pour justifier une telle entreprise ? Les risques de fragmentation et de perte de cohésion linguistique sont élevés si cette nouvelle langue n'est pas développée avec une clarté et une précision exceptionnelle.


La Pérennité du Kinyamulenge : Enjeux et Défis du Financement

La deuxième question cruciale à aborder concerne le financement. Pour assurer la pérennité d'une langue, il ne suffit pas seulement de mener des recherches, mais il est également essentiel de l'incorporer dans le système éducatif. En d'autres termes, la langue doit être enseignée aux jeunes générations pour garantir sa survie et son développement et sa pérennité.

Dans le contexte de la République démocratique du Congo (RDC), cette tâche s'avère particulièrement impossible. Le pays, avec ses tendances anti-Banyamulenge, montrera peu de volonté de soutenir financièrement un projet visant à intégrer l'enseignement du Kinyamulenge dans le système éducatif. Cette réticence peut être attribuée à plusieurs facteurs, entre autres, les considérations politiques et sociales qui rejettent les Banyamulenge et leur culture.

Sans soutien institutionnel ni financement adéquat, le projet en cours risque de se limiter à la seule traduction de la Bible. Bien que cette étape soit cruciale pour la documentation de la langue, elle demeure insuffisante pour assurer sa vitalité et son développement à long terme. Une culture ne peut se résumer à un texte, aussi sacré soit-il. Pour qu'une langue s'épanouisse pleinement, elle doit s'exprimer à travers une diversité genres littéraires ( des chant populaires, des romans, des documentaires, de bandes dessinées, des pièces de théâtre, des contes, des devinettes, des légendes, des mythes, des journaux, des biographies des récits de vie, ses fables, de épopées et de la poésies) et bien d'autres formes d'expression artistique et intellectuelle. Cette richesse littéraire et culturelle est essentielle pour refléter l'expérience humaine dans toute sa complexité et pour nourrir les générations futures.

Se contenter de la seule traduction de la Bible reviendrait à confiner le Kinyamulenge dans un cadre restreint, limitant ainsi ses possibilités d'évolution et de modernisation. Pour éviter cela, il est crucial de trouver des moyens de diversifier les productions littéraires dans cette langue. Cela pourrait inclure la création de programmes de soutien aux écrivains et poètes locaux, l'organisation de concours littéraires, et la promotion de la langue dans les médias et les plateformes numériques.

Il est également important de mobiliser des partenariats internationaux et des financements de la part d'organisations non gouvernementales, d'institutions académiques et de fondations culturelles. Ces partenariats pourraient fournir les ressources nécessaires pour soutenir la recherche linguistique, développer du matériel éducatif, et former des enseignants compétents en Kinyamulenge.

En somme, pour préserver et développer le Kinyamulenge, il est impératif de dépasser les limitations actuelles en termes de financement et de soutien institutionnel. Une approche holistique est nécessaire, valorisant et promouvant la langue dans tous les aspects de la vie culturelle et éducative. Cette démarche garantirait non seulement l'avenir du Kinyamulenge, mais aussi son dynamisme et sa capacité à s'adapter aux évolutions de la société moderne.


La Fusion des Langues : Une Approche et Alternative Constructive pour les Grands Lacs

Dans un monde où l’unification et la simplification des moyens de communication sont de plus en plus valorisées, différencier des langues déjà très similaires semble contre-productif. Au lieu de créer des divisions linguistiques inutiles, il serait plus constructif de chercher à fusionner le Kinyamulenge et le Kinyarwanda, voire même, le Kirundi pour en faire une langue commune des Grands Lacs. Après tout, ces langues ne sont que des variantes d'une même langue et largement parlées dans cette région.

Plutôt que de créer une nouvelle langue, il serait plus constructif par exemple d'enrichir le Kinyarwanda avec des mots et des expressions spécifiques au Kinyamulenge et d’autres variantes. La fusion du Kinyamulenge et du Kinyarwanda et toute ses variantes, qui, d’ailleurs, est déjà effective de manière informelle, offre plusieurs avantages. Une langue commune renforcerait les liens entre les communautés de la région des Grands Lacs, facilitant ainsi la communication, la coopération et la compréhension mutuelle, tout en reconnaissant leurs particularités culturelles.

Les deux langues, le Kinyamulenge et le Kinyarwanda, se complètent déjà de plusieurs manières. Par exemple, il existe des mots et des expressions que l'une des langues a pu perdre au fil du temps, mais que l'autre a conservés. En fusionnant ces éléments, on redécouvre et revitalise des termes anciens, enrichissant ainsi le vocabulaire et la culture des deux communautés.

En adoptant une approche unificatrice, les efforts de traduction, d'éducation et de communication seraient grandement simplifiés. Les ressources linguistiques, telles que les dictionnaires et les grammaires, pourraient être consolidées, offrant une base solide et commune pour les locuteurs des deux variantes. Cela encouragerait également l'unité et la solidarité entre les communautés qui partagent déjà des racines culturelles et linguistiques profondes.

L'anglais offre un exemple pertinent de cette approche. Bien que l'anglais parlé aux États-Unis diffère de celui parlé en Afrique ou en Europe, il est considéré comme une seule et même langue. Les dictionnaires et les manuels de grammaire notent simplement les variations régionales sans créer de divisions artificielles. Cette méthode permet de maintenir une cohésion linguistique tout en respectant les particularités locales.

Les promoteurs de la langue Kinyamulenge pourraient s'inspirer de cet exemple en enrichissant le dictionnaire Kinyarwanda avec des mots spécifiques au Kinyamulenge, tout en précisant leur usage régional. Cette intégration favoriserait une meilleure compréhension et une appréciation des particularités culturelles sans fragmenter la langue. De cette manière, les locuteurs des deux variantes se sentiraient inclus dans un projet commun de préservation et de valorisation de leur héritage linguistique.

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Un Héritage Linguistique à Préserver

Les Banyamulenge, ayant passé un séjour prolongé au Rwanda, ont sans doute imprégné leur langue de nombreux mots, expressions et structures du Kinyarwanda. Détruire cet héritage linguistique pour des raisons bibliques, semble non seulement absurde, mais aussi contre-productif. Les Banyamulenge n'ont pas de problème d'évangélisation lié à la langue ; au contraire, ils sont l'une des communautés les plus évangélisées.

Historiquement, les Banyamulenge ont montré une grande capacité à comprendre et à intégrer les messages religieux, que ce soit en Kinyarwanda ou en Kirundi ou le Swahili. Ces langues ont été suffisamment proches pour transmettre efficacement les enseignements bibliques. L'introduction d'une nouvelle langue, sous prétexte d'améliorer la compréhension du message religieux, ne ferait qu'ajouter des couches de complexité inutiles. Cela pourrait même créer des barrières linguistiques supplémentaires pour ceux qui sont déjà familiers avec la grammaire et le vocabulaire du Kinyarwanda.

Apprendre une langue très similaire au Kinyarwanda poserait des difficultés inutiles à ceux qui ont déjà maîtrisé la grammaire et les structures de cette dernière. La transition vers une nouvelle langue, même légèrement différente, exigerait un effort considérable sans offrir de bénéfices significatifs en termes de compréhension ou de communication. Cela pourrait également entraîner une confusion linguistique et une perte de repères pour les locuteurs habitués au Kinyarwanda.


Le Kininyamulenge : Une Langue en Évolution

Le Kininyamulenge, a longtemps été un bastion de la tradition linguistique. Pendant des siècles, cette langue a su conserver son originalité et son essence. Cependant, le christianisme et la rébellion muleliste ont marqué un tournant décisif qui a tout changé. Le christianisme  a détruit toutes les manifestations culturelles qui étaient sources d’inspiration de la créativité littéraires, tandis que la rébellion a détruit l’économie, phénomène qui obligé de changer le mode de vie, déclenchant ainsi  de mouvement des personnes  vers d’autres lieux. Au contact avec les autres langues une transformation rapide qui a progressivement altéré la langue de manière significative s’est produite.

Jusqu'aux années 70, le Kininyamulenge était reconnu pour sa stabilité et sa résistance aux influences extérieures. Toutefois, cette période a été le début d’une métamorphose linguistique sans précédent. La jeunesse, envoyée dans des écoles éloignées de leur milieu naturel, a commencé à adopter des pratiques linguistiques nouvelles. De même, les enseignants venus d’ailleurs apprenaient aux enfants à lire et écrire leurs noms, de manière pas tout à fait correcte, dépendamment de leurs langues maternelles. Ce changement a introduit un mélange de vocabulaire et de prononciations qui a rendu le Kininyamulenge difficile à qualifier ( Urwana). Périodiquement apparaissaient des vocabulaires ou une façon de parler initié par les jeunes que l’on appelait « impango » que l’on peut traduire par la mode. Ce phénomène a également altéré la langue.

L'exil au Rwanda a redonné le souffle au Kinyamulenge qui a repris un peu de son originalité, mais aussi a accéléré ces transformations. En effet, confrontés à une nouvelle réalité, les Banyamulenges ont dû s'adapter encore plus rapidement au Kinyarwanda qui est une langue en pleine évolution.  

Contrairement au Kinyarwanda, le Kininyamulenge ne bénéficie pas d’un encadrement ou d’une autorité linguistique compétente pour réguler son évolution. Il n'existe pas d’école pour l’apprendre, et chaque locuteur utilise la langue à sa manière, intégrant des mots de diverses langues au gré des influences extérieures.

La transformation rapide du Kinyamulenge illustre les défis auxquels sont confrontées les langues sans structures de régulation formelles. Au cas où les Banyamulenge décideraient de dissocier leur langue du Kinyarwanda, sans un pouvoir d’intervention pour préserver et standardiser la langue, le Kinyamulenge risque de se diluer encore davantage, eu égard à sa vulnérabilité et à sa permissivité.

 

La Politisation de la Culture : Un Danger pour la Cohésion Sociale

Dans un monde où la politique a profondément marqué et parfois traumatisé les populations, elle influence inévitablement tous les aspects de la vie, en particulier le mode de penser. Cependant, il est essentiel de veiller à ce que la culture ne soit pas politisée. Le conflit entre la RDC et le Rwanda ne devrait pas s'étendre aux écritures et à la langue, car une telle politisation ne ferait qu'ajouter à la confusion et nuire à la cohésion culturelle et linguistique.

La politisation de la langue peut créer des divisions inutiles.  Elle n’est pas une solution pour apaiser la haine contre les Banyamulenge ni calmer les tensions existantes. Par exemple, l'affirmation que le Kinyamulenge est une langue distincte du Kinyarwanda, plutôt qu'une variante, peut être interprétée comme un geste politique plutôt que linguistique. Ce genre de distinction artificielle risque de renforcer les clivages entre les communautés au lieu de les unir.

L'Importance de reconnaître les racines linguistiques est capitale. Il n'est pas honteux de reconnaître que le Kinyamulenge a ses racines dans le Kinyarwanda et le Kirundi. Ce sont nos langues! Elles ne sont pas étrangères pour nous! C'est une réalité historique et une évidence irréfutable. Accepter cette vérité permet de préserver un patrimoine linguistique commun tout en respectant les spécificités culturelles de chaque groupe. Cela favoriserait également une meilleure compréhension et une coopération accrue entre les communautés.

Il est crucial de dissocier la politique des autres aspects de la vie sociale. La culture, la langue et la religion devraient être des domaines où la collaboration et le respect mutuel priment sur les divergences politiques. En séparant la politique de la culture, on peut créer un environnement plus humain.

Conclusion.

Les initiateurs du projet ont-ils tenu compte des éléments ci-haut expliqué? Si oui tant mieux, si non, ce projet peut ne pas être durable.  Au lieu de créer des divisions linguistiques inutiles, il serait plus bénéfique de renforcer les liens linguistiques et culturels existants pour favoriser une meilleure communication et compréhension entre les communautés. Une approche intégrative, enrichissant le Kinyarwanda et le Kirundi avec des éléments spécifiques au Kinyamulenge, permettrait de préserver et valoriser les particularités culturelles tout en promouvant l'unité et la cohésion dans la région des Grands Lacs.


Le 28 juin 2024

Paul Kabudogo Rugaba

128 vues2 commentaires

2 Comments


Paul KABUDOGO RUGABA
Jul 01

Bonjour Paul.


Je viens de lire ton article qui se penche sur le projet de la traduction de la Bible en Kinyamulenge et l'élaboration d'un dictionnaire de la même langue. Selon moi, ceci est le produit de ce que je peux appeler le '' syndrome rwandais'', lequel syndrome s'est développé chez les congolais (du Nord et du Sud-Kivu) dont les langues maternelles sont proches du kinyarwanda, la langue parlée au Rwanda voisin. Ce syndrome consiste à nier certains liens historiques et culturels avec le Rwanda dans le but de démontrer qu'ils sont congolais d'origine comme si leur histoire ne suffisait pas pour le démontrer. Apparemment, ils ne sont pas prêts à reconnaître la parenté de leurs langues maternelles avec l…


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Paul KABUDOGO RUGABA
Jul 01
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Syndrome de rwandophobie

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