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  • Paul KABUDOGO RUGABA

La Lutte Contre les Discours de Haine : Un Enjeu Crucial pour la Paix et la Sécurité Mondiale


Dans le fonctionnement du système des Nations Unies, les journées internationales sont des occasions précieuses pour sensibiliser la société aux questions majeures touchant à la vie des États. L'ONU décrète ces journées après avoir évalué l'ampleur d'une question donnée dans le développement de la société. En 2021, l'Assemblée générale des Nations Unies a ainsi évalué la situation des discours de haine dans le monde, constatant que ces discours prennent une ampleur menaçant fortement la paix et la sécurité. En réponse, l'Assemblée a proclamé le 18 juin comme Journée internationale de lutte contre les discours de haine.

Qu'est-ce qu'un discours de haine?

Un discours haineux est unanimement défini comme tout type de propos, qu'il s'agisse d'un écrit, d'un comportement, d'un geste ou d'une image, qui stigmatise autrui, viole ou touche à la sensibilité d'un individu ou d'un groupe de manière discriminatoire ou péjorative, en raison des caractéristiques intrinsèques liées à son identité, sa race, sa tribu, sa religion ou sa couleur de peau. Ces discours sont généralement véhiculés sur les réseaux sociaux et dans les médias, notamment en ligne, mais se manifestent également dans les discours directs des politiciens surtout lors des campagnes électorales.

Pour analyser un discours de haine, il est crucial de tenir compte de divers facteurs, tels que les contextes culturels, politiques, idéologiques et historiques de l'auteur du discours, ainsi que la position de celui-ci. Par exemple, lorsqu'un leader d'opinion, comme un pasteur ou un acteur politique influent, se tient devant un public pour inciter à la violence ou pour dire de ne pas aimer certains groupes en raison de leur appartenance à une certaine catégorie ou à cause de leur faciès, ces discours prennent une grande ampleur.

Les critères d'évaluation des discours de haine incluent le contexte, l’orateur, l’objet, le contenu et la forme, l’ampleur du discours et la probabilité, y compris l’imminence. Ces éléments permettent de distinguer les discours de haine de la simple liberté d'expression. Les discours haineux doivent être évalués selon ces critères pour comprendre leur impact réel et les différencier de la liberté d'expression.


Discours de Haine et Liberté d'Expression : Une Distinction Cruciale pour la Cohésion Sociale

Dans un monde de plus en plus interconnecté, il est essentiel de distinguer clairement la liberté d'expression des discours de haine. Comprendre cette distinction est vital pour protéger les droits humains et maintenir la cohésion sociale. Il est important de comprendre que la lutte contre les discours de haine ne restreint pas la liberté d'expression ni ne cherche à l'interdire. Elle vise plutôt à rappeler et à décourager les propos discriminatoires et les violations des droits fondamentaux liés à la personne. La liberté d'expression est un droit essentiel, mais elle ne doit pas servir de prétexte pour justifier des discours haineux qui portent atteinte à la dignité humaine et à la cohésion sociale. La lutte contre les discours de haine   vise alors à prévenir les propos discriminatoires et les violations des droits fondamentaux des individus

Les auteurs de discours de haine utilisent souvent l'argument de la liberté d'expression pour masquer leurs propos discriminatoires et violents. C'est pour cette raison que le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, dans son article 20, fixe un seuil pour apprécier un discours de haine. Les travaux de Rabat sur la lutte contre les discours de haine décrivent également un ensemble de critères pour cette évaluation.


Aujourd'hui, en RDC, les discours de haine constituent un sérieux problème pour les droits de l'homme. Dans les débats publics, on assiste à un déferlement de tribalisme et de haine, particulièrement virulents dans les discours politiques. Avec le contexte actuel de guerre à l'Est, les tensions entre communautés sont attisées par des messages incitant à la haine. Ces discours identitaires et incendiaires divisent les communautés, et la haine s'installe.

À l'Est du pays, les communautés Babembe et Bafulero ne peuvent plus vivre ensemble avec les Tutsis Banyamulenge. Dans la province du Katanga, les conflits entre les communautés kasaïennes et katangaises de l'année passée laissent encore des séquelles. À Kinshasa, les conflits entre les communautés Yaka et Teke persistent. Dans la province orientale, les tensions entre les Lendu et les Hema continuent de troubler la ville de Bunia.

Ces situations sont des conséquences des discours de haine tenus par des acteurs politiques ou certains leaders d'opinion, qui poursuivent leurs propres intérêts. Ces discours se métastasent dans la société, trouvent un public anonyme, et se transforment en un venin qui incite à la division, entraînant des violences, des déplacements forcés, et la destruction de villages.

En République Démocratique du Congo (RDC), on a toujours observé une inquiétante montée de l'exclusion de certaines communautés et l'incitation à la haine à travers des propos péjoratifs. Dans les arènes politiques, il est devenu tristement courant d'utiliser des termes dénigrants pour désigner certaines communautés. Des pareils propos divisent profondément et fragilisent la cohésion sociale du pays.

Par exemple, les termes : des "ennemis", des "soi-disant", des "serpents", des "envahisseurs", des "hégémonistes", des "dominateurs", des "Rwandais", des "étrangers", etc., ces épithètes visent presque exclusivement les Banyamulenge et leurs cousins Tutsi du Nord-Kivu. Plus de 90 % des discours de haine émis dans le pays les stigmatisent, cherchant à soulever la population contre eux. Ces communautés, pourtant, ne représentent même pas 5 % de la population. Les politiciens n'hésitent pas à promettre leur extermination pour gagner des élections. C’est devenu une condition sine quoi none pour être élu.  Lors des débats dans les assemblées législatives et les conseils ministériels, la rhétorique reste la même, empreinte de sinistres intentions.

Les journalistes jouent également un rôle crucial dans cette diabolisation en trouvant facilement des mots et des expressions qui renforcent ces préjugés. De même, certains pasteurs dans les églises propagent l'idée que combattre ces communautés serait la volonté de Dieu. Ces discours haineux sont amplifiés par le silence complice des ONG qui produisent des rapports vagues, souvent biaisés, qui prêtent à confusion quant aux auteurs réels de ces discours. Elles condamnent de manière évasive, sans pointer directement les responsables et sans identifier clairement les victimes.

Cette situation dresse un tableau sombre où tout le monde est considéré à la fois comme auteur et victime, diluant ainsi la gravité de la souffrance réelle endurée par les véritables victimes. Cette rhétorique ne se limite pas aux mots; elle se traduit en actes violents, entraînant des bains de sang.

Aujourd'hui, des individus sont emprisonnés en raison de leur faciès, notamment dans les prisons de Makala, de Ndolo et de la prison centrale de Bukavu. Plus de cinq cents personnes, particulièrement des Banyamulenge, sont détenues parce qu'elles ont un visage "non Bantou" ou sont perçues comme des Rwandophones. Elles sont arbitrairement détenues depuis plus de deux ans sans jugement, notamment dans le contexte de la guerre à l'est du pays. Vu l’inaccessibilité de ces lieux, on ne sait pas avec exactitude combien sont déjà morts, mais ce qui est certains et qu’il y a des morts. Les cas le plus récent et du major Thomas Mutagata.  

Il est impératif que ces personnes soient conduites devant leur juge pour connaître les faits qui leur sont reprochés, ou qu'elles soient libérées si aucun élément probant ne les inculpe. La Constitution garantit la présomption d'innocence et des délais pour la détention. Malheureusement, ses dispositions sont bafouées, surtout quand il faut les appliquer pour réhabiliter les détenus issus des communautés autrement stigmatisées, marginalisées et condamnés à disparaitre.


La Législation Congolaise et les Discours de Haine

La législation congolaise en matière de discours de haine est préoccupante. Il est crucial de sensibiliser les autorités politiques et législatives de la République Démocratique du Congo (RDC) afin d'adapter ses lois à la complexité et à la gravité de la problématique des discours de haine, ainsi qu'à l'évolution du droit international dans ce domaine. Actuellement, le pays ne dispose pas d'une loi spécifique qui combat les discours de haine. La dernière disposition législative date de juin 1966, une ordonnance-loi prise par le maréchal Mobutu, qui condamnait le racisme et le tribalisme. C’est dans cette ordonnance que se trouvent les dispositions spécifiques condamnant la haine, mais de manière générale.

Aujourd'hui, on se réfère au code pénal général pour des infractions comme la diffamation, alors que la problématique des discours de haine, avec l'évolution de ces discours et les crimes haineux associés (notamment les vindictes populaires, les incitations à la discrimination, les arrestations arbitraires et les violations des droits fondamentaux), montre une inadaptation des lois aux réalités actuelles. Ces ordonnances ont été prises dans un contexte dictatorial ; or, le pays doit évoluer vers la démocratie, guidé par la Constitution du 18 février. Il est donc nécessaire d’harmoniser les lois.

Il est impératif de rappeler à l'Assemblée nationale de voter et de soumettre au débat la proposition de loi contre le racisme et le tribalisme. Cette proposition, déposée depuis novembre 2020, n'a jamais été adoptée ni même soumise au débat. Lors d'une table ronde entre jeunes et acteurs politiques, un député national membre de la commission compétente a répondu à la question de savoir pourquoi cette proposition de loi n'était pas adoptée en disant que si cette loi était votée, presque tout le monde présent seraient coupables, car ils sont tous acteurs et auteurs de discours de haine.

Cela montre que l'élite nationale et le gouvernement sont conscients de la prolifération et des dangers des discours de haine, mais hésitent à agir car ils en sont les principaux acteurs, notamment lors des campagnes électorales. Il est crucial que les bureaux actuels soumettent cette loi au débat pour qu'elle soit adoptée. Il faut également rappeler au pouvoir judiciaire, en particulier au ministre de la Justice, de veiller aux cas des victimes de crimes haineux.


Conclusion

En tenant compte de la situation en République Démocratique du Congo (RDC), la pertinence des décrets instituant des journées internationales est remise en question. Ces journées semblent inutiles lorsque des génocides se produisent sous les yeux des officiels des Nations Unies, qui n’ont même pas le courage d’inspecter les prisons et les cachots de la RDC. À quoi bon des discours élogieux et génériques si l'on n’ose pas appeler les choses par leur nom ? Les victimes ont besoin d’actions concrètes et d’une pression exercée sur le gouvernement pour améliorer leurs conditions de vie, pas de simples célébrations. Sinon, tout cela n'est que du théâtre.


Le 26 juin 2024

Paul Kabudogo Rugaba

 

Annexe

Fiche sur « l’incitation à la haine »
Cadre juridique :
L’Article 20 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) spécifie que « tout appel à la haine nationale, raciale ou religieuse qui constitue une incitation à la discrimination, à l’hostilité ou à la violence est interdit par la loi. »
Définitions :
· Les termes « haine » et « hostilité » font référence à des manifestations intenses et irrationnelles d’opprobre, d’inimité ou de détestation envers le groupe visé ;
· Le terme « appel » sous-entend qu’il y a une intention de promouvoir la haine publiquement envers le groupe visé ; et
· Le terme « incitation » fait référence à des déclarations sur des groupes nationaux, raciaux ou religieux qui créent un risque imminent de discrimination, d’hostilité ou de violence envers des personnes appartenant à ces groupes.
Examen du seuil : L’article 20 du Pacte requiert un seuil élevé, en raison du fait que la restriction de la liberté d’expression doit demeurer une exception. Le Plan d’action de Rabat (A/HRC/22/17/Add.4, appendix) suggère que chacun des six éléments du seuil ci-dessous soient atteints pour qu’une déclaration soit considérée comme relevant du domaine pénal :
(1) Le contexte : le contexte est très important pour évaluer le degré de certains discours d’incitation à la discrimination, à l’hostilité ou à la violence envers un groupe visé. Le contexte peut avoir une incidence directe sur l’intention et/ou la causalité. L’analyse du contexte devrait situer l’acte verbal dans les contextes sociaux et politiques qui existent au moment où l’acte verbal a été émis et propagé ;
(2) L’orateur : le rôle ou le statut de l’orateur au sein de la société devrait être pris en compte, en particulier la position de cette personne ou de son organisation dans le contexte de l’auditoire auquel s’adresse le discours;
(3) L’objet : l’article 20 du Pacte fait état d’une intention. La négligence ou l’imprudence ne sont pas suffisantes pour qualifier la situation au sens de l’article 20. Cet article requiert un acte d’« appel » et d’« incitation » plutôt qu’une simple dissémination ou circulation d’une information. De ce point de vue, cela nécessite une relation triangulaire entre le sujet du discours, l’objet du discours et l’audience ;
 (4) Le contenu et la forme : le contenu du discours constitue l’un des points principaux étudié lors des délibérations d’une juridiction ainsi qu’un élément essentiel de l’incitation. L’analyse du contenu peut inclure le degré de provocation et la manière dont ce dernier est direct, ainsi que la forme, le style, la nature des arguments utilisés dans le discours en question ou l’équilibre entre les arguments utilisés, etc. ;
(5) L’ampleur du discours : cela comprend des aspects tels que la portée du discours, sa nature publique, sa portée et la taille de son audience. D’autres éléments sont également examinés tels que: le discours est-il public ? Quels sont les moyens de diffusion utilisés, par exemple un seul dépliant ou diffusé dans les médias grand public ou par internet ? Quelle était la fréquence, la quantité et la portée de la communication ? L’audience a-t-elle eu les moyens d’agir à partir de l’incitation, que la déclaration ait été diffusée dans un environnement restreint ou largement accessible au grand public ? ; et
(6) La probabilité, y compris l’imminence : par définition, l’incitation est un crime implicite. L’action encouragée par le discours d’incitation n’a pas à être commise pour que ce discours soit considéré comme un acte criminel. Cependant, il faut identifier le niveau de risque de préjudice pouvant en résulter. Cela signifie que les juridictions devront déterminer la probabilité raisonnable que le discours ait pu inciter des actions concrètes envers un groupe visé, tout en reconnaissant le lien de causalité qui devrait être direct.
Le Plan d’action de Rabat constate avec inquiétude que des incidents, qui atteignent le seuil de l’article 20 du PIDCP, ne sont pas poursuivis ni punis. De plus, des membres de minorités sont persécutés de facto, créant un effet terrifiant pour d’autres, à travers l’utilisation abusive de législations, de jurisprudences et de politiques nationales floues. Les dirigeants politiques et religieux doivent s’abstenir de toute incitation à la haine. Ces derniers jouent également un rôle crucial dans l’expression prompte et ferme contre les discours haineux et doivent clairement affirmer que la violence ne peut jamais être tolérée comme une réponse à l’incitation à la haine. (cf. également les 18 engagements concernant « La foi pour les droits »). ( Nation Uni, droit de l’homme)  

Reference

 

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