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Paul KABUDOGO RUGABA

L’Évangélisation des Hauts-Plateaux : De la Lumière à l’Ombre

Dernière mise à jour : 9 juin

« Ububyuke » L'éveil ou le réveil spirituel

L'éveil et le réveil spirituel sont deux expériences profondes qui impliquent une prise de conscience spirituelle. Ils sont traduits par un même mot en Kinyamulenge :  « Ububyuke ».  Prenons le terme réveil parce que c’est lui qui est généralement utilisé. 

Ce terme   dérivant du mot "kubyuka" (qui signifie "se réveiller ou s’eveiller") a été largement utilisé par les fidèles des communautés pentecôtistes et méthodistes des Hauts-Plateaux. Il désigne un réveil spirituel. L'histoire du réveil dans les Hauts Plateaux est marquée par des épisodes successifs à un rythme accéléré ayant laissé des marques.

Ce terme n'a rien d'offensif, bien au contraire. On peut le comparer à ce que l'on appelle ailleurs des croisades. C'est une opération visant à reconquérir les âmes ou à renforcer celles déjà gagnées.

Les catholiques furent les premiers à évangéliser le plateau. En raison de l'accès très limité aux villages, leur présence se résumait à une ou deux visites par an, principalement lors des tournées du prêtre à Pâques et à Noel. Le reste de l'année, les nouveaux convertis étaient laissés à eux-mêmes, sans soutien spirituel ni encadrement continu.

L'Arrivée des Missionnaires Protestants

Plus tard, des missionnaires protestants originaires de Suède et de Norvège firent leur apparition. Lors de leur première tournée, ils réalisèrent rapidement qu'ils ne pourraient pas continuer cette mission difficile seuls. Pour remédier à cette situation, ils recrutèrent quelques jeunes Banyamulenge et les formèrent dans des cours bibliques. Parmi ces premiers pionniers, on note les noms de Mwungura Matayo, Kajabila, et M. Munyangurube David. Ces jeunes devinrent les premières flammes qui embrasèrent tous les Hauts Plateaux.

Le message des jeunes pionniers, fondé sur les valeurs culturelles d’ Ikinyabupfura" (que l’on peut traduire par intégrité, bienséance et honnêteté), fut vivement écouté et respecté. Grâce à leur présence dans leur milieu naturel, le premier réveil initié par ces pionniers a reconverti les catholiques au protestantisme de manière spectaculaire. Ce mouvement a redonné une image valorisée à la culturelles Banyamulenge, en y attribuant une valeur ajoutée : s’occuper de leur corps, être élégants et éviter de sombrer dans l'alcoolisme et le tabagisme. Ce fut un véritable succès, que nous regardons aujourd'hui avec révérence.

Cependant, les réveils ou Éveils qui suivirent prirent un rythme accéléré et dévièrent rapidement, tombant dans l'excès du fanatisme et des hérésies. Les nouveaux adeptes, convaincus de l'imminence de la fin du monde, adoptèrent une attitude ofensive, forçant les membres de leur famille à se convertir par la contrainte. Imaginez un patriarche voyant son fils, sa fille, son gendre ou sa belle-fille le forcer à briser sa pipe (inkono) et son bracelet en ivoire (urugoro), symboles de pouvoir sur la famille, hérités de ses ancêtres et destinés à être transmis à ses descendants. Pour lui, c'était littéralement la fin de son monde.

Dans une époque où certains prédicateurs proclament la fin du monde et affirment que l'intelligence et les études sont superflues, une seule connaissance semble être valorisée : la connaissance de Dieu. Selon eux, le seul critère de savoir nécessaire est de pouvoir lire la Bible. Ainsi, les médicaments deviennent inutiles et seule la prière est vue comme une véritable voie de guérison.

À chaque séance de prière, certains participants se mettent à parler en langues, un phénomène connu sous le nom de "kwuzura" ou "kwuzuzwa umukwa", signifiant littéralement "remplir" ou "être rempli de l’esprit". Bien que ces paroles semblent être du charabia dénué de sens, beaucoup y voient des messages divins. Étrangement, la personne qui parle en langues n’est pas toujours celle qui interprète ces paroles. Une autre personne s'en charge, prétendant donner un sens à ces expressions mystérieuses.

Ce phénomène a pris une ampleur considérable. Parler en langues est devenu si répandu que ne pas le faire semble indiquer un manque de foi. Le kuzuzwa est ainsi devenu une sorte de norme. Les pasteurs plus traditionnels et posés ont vu leurs églises se vider, leurs fidèles les délaissant au profit de ceux qui manifestent ostensiblement ce don de l’esprit.

Le kuzuzwa est devenu un critère de piété chrétienne. Il  est désormais perçu comme une preuve incontestable de la foi. Lors des témoignages, notamment lors des funérailles, il est courant d'entendre des phrases telles que : « Y'uzuraga umwuka, yari yararetse inzoga n’itabi », signifiant « Il parlait en langues et ne fumait plus ni ne buvait. » Cette expression résume l’idée que parler en langues est synonyme d’une vie transformée et dévouée à Dieu.

Malgré l’enthousiasme et la ferveur qui entourent le kuzuzwa, la question demeure : quel est réellement le message ? Pour beaucoup, ces paroles semblent n'avoir aucun sens clair. Parler en langues pourrait être perçu comme une manière de démontrer sa foi plutôt qu’une véritable communication divine. Il semble que certains se laissent emporter par cette pratique plus par conformisme que par conviction profonde.

Le kuzuzwa, tout en étant une manifestation impressionnante de dévotion, soulève des questions sur le véritable contenu de la foi et sur l'authenticité des expériences spirituelles. Est-ce une mode passagère ou un véritable élan de foi ? Seul le temps nous le dira. Cependant, il est essentiel de rappeler que la foi ne se mesure pas uniquement par des manifestations extérieures, mais aussi par une compréhension profonde et une pratique sincère de ses convictions.

Des Pratiques Inquiétantes et Superstitieuses

Dans certaines communautés ou il y avait Ububyuke, il n'était pas rare d'assister à des scènes pour le moins troublantes. En pleine transe, les fidèles prenaient des braises chaudes et griffonnaient des écritures indéchiffrables connues sous le nom d'Amandiko sur les murs, à défaut des papiers.

Les inscriptions laissées par ces fidèles en transe ressemblaient plus à des graffiti d'enfants qu'à de véritables messages codés. Une personne s'occupait de griffonner ces symboles mystérieux, tandis qu'une autre se chargeait de les interpréter. Les larmes coulaient abondamment, ajoutant une dimension émotionnelle et mystique à ces scènes déjà impressionnantes. Mais pourquoi ces larmes et ces tremblements ? Difficile de donner une explication claire.

Pour les observateurs, ces scènes pouvaient souvent ressembler à des coups de théâtre, voire à des formes d'intimidation. Les interprétations des amandiko se concentraient principalement sur des annonces de châtiments, semant la panique parmi les présents. La peur des conséquences faisait taire toute critique, et la raison semblait mise de côté. Critiquer ces pratiques équivalait à commettre un blasphème, renforçant ainsi le climat de peur que de foi.

La croyance en ces phénomènes peut s'expliquer chez les personnes peu éduquées, dont les outils d'analyse sont souvent limités. Cependant, il est plus difficile de comprendre pourquoi des intellectuels adhèrent à de telles pratiques. Cela rappelle le vieux dicton : « Avoir les yeux et ne jamais les ouvrir pour voir. »

Au début, ces scènes de prière pouvaient même dégénérer en violence, particulièrement avec le phénomène du "Gutambua". Tiré du swahili "kutambua", signifiant "démasquer" ou "découvrir", le Gutambua consistait à révéler les pécheurs en les rouant de coups, pouvant aller jusqu'à leur infliger des blessures. Heureusement, cette pratique a disparu avec le temps, mais elle laisse un souvenir   marquant dans la mémoire collective.

Ces pratiques religieuses, qu'il s'agisse des amandiko ou du Gutambua, mettent en lumière une religion basée sur la peur et la soumission. Les fidèles, paralysés par la crainte des châtiments, acceptaient sans critique les interprétations données. La mystification et l'intimidation étaient les principaux outils pour maintenir l'ordre et la foi dans ces communautés.

Ces  pratiques soulèvent des questions fondamentales. Elles mettent en évidence la nécessité d'une foi éclairée, basée sur la raison et la compréhension plutôt que sur la peur et la superstition. Dans une société évoluée, il est crucial de séparer la véritable spiritualité des pratiques qui exploitent les émotions et les vulnérabilités humaines.


Cultes superflus: Entre Dévotion et Épreuve

Dans toutes les communautés protestantes des Hauts-plateaux, les événements appelés « Huduma » (prestations de service) sont fréquemment organisés pour répondre à des intentions spécifiques, comme la prière pour un malade.  C‘est une période de mortification et aussi une bonne occasion de se confesser. Ces rituels, qui se déroulent jour et nuit sans interruption sur des périodes allant d’une semaine à un mois, ont lieu dans une case appelée « Mahombi », une sorte de maison de prière distincte des églises traditionnelles. Bien que destinés à apporter réconfort et guérison, ces événements s’avérent souvent épuisants et émotionnellement intenses.

Lors  des Huduma, l’ambiance est souvent survoltée par des émotions intenses. Les participants, plongés dans une atmosphère enflammée, sont poussés à confesser des fautes qu’ils n’ont parfois même pas commises. La culpabilité est encouragée à tout prix pour démontrer que Jésus a accompli un grand travail en lavant les péchés de chacun avec son sang. Cependant, ces confessions publiques entraînent parfois des conséquences désastreuses.

Les aveux, souvent de nature très personnelle, se propagent rapidement dans la communauté. Les individus qui s’sont confessés en viennent vite à regretter leur franchise. Par exemple, une jeune fille qui a avoué avoir eu une relation avec un jeune homme se retrouve la cible de jeunes coureurs de jupons, désormais au courant de sa prétendue faiblesse. Sa réputation en pâtit au point de décourager les prétendants sérieux, souillant ainsi sa personnalité et son avenir social. Les femmes qui ont confesse avoir utilisé de fétiches se sont vu déconsidérées par la communauté. Ou est alors le pardon?

Dans le temps, lorsque l’on priait pour un malade, les pratiquants le secouaient vigoureusement, comme si la maladie était une poussière à enlever par secousse. Si aucune amélioration n’était constatée, le malade subissait des coups sous prétexte de chasser le démon qui le hantait (kufukuza mapepo ou kwirukana amapepo). Cette pratique était tragique pour les pauvres souffrants, déjà affaiblis physiquement, et désormais traumatisés moralement.

Les Huduma sont, non seulement physiquement épuisants en raison de leur durée, mais aussi moralement éprouvants. Les participants, souvent hypnotisés par l’ambiance, se retrouvaient poussés à des extrêmes émotionnels. La pression sociale et la crainte de la stigmatisation les conduisent à jusqu’à l’épuisement physique. 


Les Cultes du Soir et preuve d'un Combat Spirituel

  Du temps de réveil, en plus du culte dominical, il y en avait d’autres comme Les cultes du soir. Ils étaient fréquents, se tenant deux ou trois fois par semaine. Ces réunions religieuses, bien que spirituellement enrichissantes, pouvaient aussi se transformer en véritable casse-tête pour les fidèles.  La durée n’était pas déterminée, tous dépendait de celui qui a la commande.

Dans certaines églises, prêcher à tour de rôle était une obligation imposée à tout fidèle adulte. Imaginez l’angoisse d’un néophyte qui ne sait ni lire ni écrire, confronté à la tâche redoutable de choisir et d'interpréter un passage de la Bible. Cette obligation devenait une source de stress intense pour beaucoup, rendant l'expérience plus éprouvante que spirituelle. Il va de soi que la qualité de la prédication laisse trop à désirer.

La situation était encore plus pénible pour les femmes. Souvent, elles devaient assister aux cultes avec un enfant sur le dos, enveloppées dans un pagne, pas suffisamment chaud pour les protéger du froid glacial de la nuit. Après une journée de travail sans répit, elles luttaient désespérément contre un sommeil accablant. Dans ce contexte, le sommeil était perçu comme une attaque du diable. Pour le vaincre, il fallait veiller coûte que coûte.

Assises sur un banc en bambou sans dossier, la tête tombait de sommeil dans toutes les directions.  Chaque fois que qu’elle retrouvait conscience, elle répétait : « Koma Shitani », signifiant « loin de moi Satan ». Cette phrase était une sorte de mantra, un appel à la vigilance et à la résistance contre la tentation du diable. Pour maintenir l’éveil, on chantait fort, parfois jusqu'à en perdre la voix. Cette perte de voix (gusarara) était même vue comme un signe positif, un indicateur de dévouement.

Les cultes se terminaient très tard dans la nuit. Les fidèles quittaient les lieux avec les yeux rouges, la tête douloureuse, épuisés par une bataille incessante contre le sommeil. Ces nuits blanches laissaient des traces profondes, mais elles étaient aussi des témoignages de leur foi et de leur résilience face aux épreuves.

Ces cultes du soir, malgré leur dureté, étaient un moment de communion intense, où la foi de chacun était mise à l’épreuve. Ils révélaient la capacité des fidèles à persévérer dans l’adversité, transformant chaque rencontre en une véritable épreuve de dévotion et de résistance spirituelle.

C'est dans ce contexte qu'apparurent des prophètes et des prophétesses affirmant avoir visité la cité céleste (kugenda imaono = aller en vision) renforçant ainsi la tendance. Tous revenaient en confirmant que les catholiques étaient des païens parce qu’ils fument du tabac et boivent des boissons alcoolisées. Ils décrivaient le ciel, tantôt comme une cité moderne avec de belles routes, tantôt comme une industrie qui tamise les païens des chrétiens. Les chrétiens se reposent dans une salle en paix, tandis que les païens se trouvent dans une salle voisine semblable à un four crématoire.

Notons que les termes utilisés viennent du swahili. L'utilisation d'une langue étrangère conférait un caractère exotique et spécial à ces pratiques. Les gens les acceptaient sans en demander la signification, et sans se donner la peine de les traduire dans leur langue maternelle. C’est un signe de susceptibilité a l’aliénation.

 

Mariam Kinyamarura : La Prophétesse Envoûtante et ses Doctrines Controversées


Parmi les figures mystiques les plus célèbres et influentes, Mariam Kinyamarura occupe une place centrale, entourée de mystères qui la rendaient plus semblable à un esprit qu’à une personne humaine. Connue pour sa prétendue capacité à lire les âmes comme des livres ouverts, Mariam prétendait connaître les secrets de chacun, une faculté qui lui a valu une adulation quasi-superstitieuse.

Mariam menait une vie ascétique mystique.  Selon ses partisans, elle ne marchait pas, ni ne quittait jamais son lit, elle ne se lavait ni ne changeait jamais de tenue, elle ne mangeait ni ne buvait, un comportement qui accentuait son aura d'étrangeté et d'ascétisme extrême. Elle partait fréquemment en « maono » (visions), disparaissant pendant des jours voire des semaines.

Durant ses voyages spirituels, sa case restait fermée, interdite à quiconque, renforçant encore plus son mystère. Une personne de son protocole veillait régulièrement à la fenêtre pour vérifier son retour. Cette absence de consommation physique et ces voyages fréquents la faisaient ressembler davantage à une entité éthérée qu’à un être humain.


Doctrine du Mariage et Impacts Sociaux

L'une des doctrines les plus controversées de Mariam concernait le mariage. Pour elle, le premier contact sexuel signifiait un mariage consommé, même en cas de viol ou de fornication. Dans une société où le "guterura" (kidnapping) existait, (bien qu’étant une voie non préférée), cette croyance a eu des conséquences dramatiques. Si une fille était kidnappée puis récupérée par sa famille, selon Mariam, le mariage était consommé et il fallait qu'elle retourne auprès de son kidnappeur.

Cette doctrine a engendré des situations familiales tragiques. En remontant le temps pour découvrir ce qui était arrivé aux mères et grands-mères avant leur conversion, on se retrouvait dans des dilemmes insurmontables. Des familles étaient déchirées, des enfants se retrouvaient orphelins malgré la présence de leurs parents, et des couples vivaient un veuvage imposé, transformant ainsi des vies heureuses en cauchemars insupportables. Les traumatismes psychologiques étaient fréquents, souvent mal interprétés comme des possessions démoniaques, faute de spécialistes pour diagnostiquer.

La doctrine de Mariam a eu des répercussions profondes sur les pratiques religieuses et la cohésion sociale dans les communautés concernées. Les catholiques, souvent considérés comme des païens par les tenants de cette doctrine, ont subi une discrimination systématique, particulièrement visible lors des mariages interconfessionnels entre jeunes filles catholiques et jeunes hommes protestants.

Les mariages entre catholiques et protestants  se sont transformés en occasions de conversion forcée. Malgré les accords familiaux stipulant le respect des croyances de chacun, des jeunes filles catholiques étaient fréquemment baptisées de force le jour de leur mariage. Emmenées à la rivière, elles étaient immergées par un pasteur avant la célébration du mariage, une pratique choquante que certains ont qualifiée de « viol baptismal ».

Les conséquences de ces pratiques étaient prévisibles : une interdiction stricte des mariages entre catholiques et protestants s'est rapidement imposée, obligeant les jeunes à choisir entre leur religion et leurs bien-aimés. Les catholiques, nettement minoritaires, ont particulièrement souffert de cet embargo matrimonial. La jeunesse catholique s'est vue contrainte de réintégrer le protestantisme pour trouver des conjoints, une situation qui a agacé les relations interconfessionnelles.

Cette mesure discriminatoire a également touché les membres de la communauté CDEZ. Toutefois, comme la majorité des Banyamulenge avait embrassé cette nouvelle communauté, la mesure n'a pas eu d'impact significatif sur eux. En revanche, ce sont les membres du CPZA qui en ont souffert. L'ironie de la situation a vu les excommunicateurs se retrouver excommuniés, illustrant les retournements inattendus de la doctrine de Mariam.

Mariam a passé sa vie à combattre le terme "Banyamulenge", promu par l'honorable Gisaro Muhoza, afin de défendre les droits de sa communauté, souvent bafoués. Elle a également rejeté la communauté CADZ, née des abus commis par Ruhigita, un représentant du CPZA et sujet Mufulero. Son opposition à ce terme et communautés place Mariam Kinyamarura au rang de traitre.

La Tragédie de Kabera : Les Conséquences d'une Prophétie Trompeuse

Dans un monde où la survie est souvent synonyme de lutte constante et où la protection de soi et de ses proches est une priorité, Mariam a choisi un chemin singulier. Elle a fondé une communauté autarcique fataliste, un groupement d'hommes et de femmes ayant une perspective unique sur la vie, la mort et l'au-delà.

Ce qui pourrait être perçu comme une faiblesse — l'incapacité de se défendre ou de défendre les leurs — devient, dans cette communauté, une forme de force spirituelle. En refusant la violence et la résistance, ils adoptent une posture de soumission totale à ce qu'ils perçoivent comme la volonté divine. Cette passivité active les place dans une perspective d'acceptation totale de leur sort, qu'ils voient comme une preuve de foi inébranlable.

La figure de Mariam Kinyamarura reste à jamais gravée dans les mémoires, non seulement pour ses prétendues capacités prophétiques, mais aussi pour le drame qui a suivi ses enseignements. Elle aurait déclaré que quiconque chercherait protection auprès des jeunes Banyamulenges, qu’on appelait, à tort ou à raison, des 'Inkotanyi (une milice d'autodefence), commettrait un péché grave contre Dieu. Selon ses dires, Dieu lui aurait ordonné de se rendre dans les mains de FAZ( Katanyama) pour avoir la vie sauve et sans peché. Cette annonce aurait entraîné ainsi les villages de Bibogobogo, Magaja et Kivumu à rejoindre ceux du sanctuaire de Kabera. En moins de deux jours, ce lieu est devenu le théâtre d’un massacre effroyable.

Cette fausse prophétie tragique a conduit à ce que de nombreux habitants se livrent à leurs bourreaux, alors même qu’une alternative de protection existait. Les villages de Rurimba et Mugorore, qui ont choisi de ne pas suivre les directives de Mariam, ont ainsi échappé à ce destin funeste. L’acte de se jeter volontairement dans la gueule du lion, alors qu’une main secourable était disponible, rappelle un suicide collectif. Une question se pose alors : Est-ce un crime, une erreur, ou simplement une conséquence tragique des circonstances ? on peut admettre une erreur de choix de cette pauvre population qui a cru en sa prophétesse, mais il faut condamner indéniablement les fausses prophéties.

Ce sujet demeure tabou, et le scandale qui se cache derrière cette tragédie est souvent gardé sous silence. Mariam continue d’être vénérée comme une héroïne par certains, malgré le fait que ses prétentions divines ont conduit à une erreur fatale. Pour minimiser la gravité de cette situation, certains fidèles utilisent des justifications bibliques consolatrices telles que « La mort apporte au ciel », oubliant ainsi qu'elle peut aussi mener à l'enfer. Parfois, la responsabilité est même attribuée à Dieu dans un fatalisme spirituel : « C’était prédestiné et personne ne peut changer les plans de Dieu ».

Je pense qui Il est crucial d'affronter cette dure vérité et de dire « Kabera, plus jamais ça ». Ce sanctuaire, autrefois sacré, est devenu un lieu de massacre.   Les faux prophètes, avec leurs talents oratoires, conduisent souvent leurs fidèles par des mensonges destructeurs.

Mariam Kinyamarura a connu une fin tragique, victime du génocide en cours contre les Banyamulenge. Elle est décédée en septembre 1996,dans des conditions atroces, emportant avec elle une grande partie de la communauté de Kabera. Sa tombe repose à Muhanga (Gitarama), au Rwanda, où les rares survivants sont hébergés. Intoxiqués par ses doctrines, ces survivants sont devenus ingouvernables et posent d’énormes problèmes à leur entourage et à l’administration. Ils se divisent en petites sectes extrémistes comme Mabungo , Komite, Gashamaba et tout consort, redoublant encore les tensions.

Consécutivement aux attitudes décrites ci-haut, le protestantisme, dont nous avions loué les bienfaits, est devenu un facteur de régression. Les enfants ont abandonné les études ; certains ont déchiré leurs diplômes, mais ils n'ont pas tardé à le regretter plus tard. Cette dérive montre comment un mouvement initialement porteur de valeurs positives peut, par excès et fanatisme, mener à des comportements destructeurs et régressifs

 

Le 7 juin 2024

Paul Kabudogo Rugaba

 

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1 comentario


Fidele Kimenyerwa
Fidele Kimenyerwa
20 jun

Nous vous encourageons pour votre avouement de vouloir changer les conceptes religieux au sein de notre societe.


Merci encore une fois pour cet article

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