L'Assemblée Nationale Ambitionne-t-elle de Légiférer Contre le Tribalisme, le Racisme et la Xénophobie ?
- Paul KABUDOGO RUGABA
- 16 mars
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Dernière mise à jour : 17 mars

Lors de l'ouverture de la session ordinaire de mars, le président de l'Assemblée nationale, Vital Kamerhe, est revenu sur la nécessité de maintenir l'unité et la cohésion nationale en République Démocratique du Congo (RDC). Ce discours intervient dans un contexte où la RDC se présente comme victime d'une agression rwandaise à travers la rébellion du M23. Kamerhe a ainsi appelé ses collègues à porter une attention particulière à l'adoption d'une loi contre le tribalisme, le racisme et la xénophobie.
Cependant, une question cruciale se pose : s'agit-il d'une réelle volonté de lutter contre ces fléaux ou d'une stratégie temporaire visant à endiguer l'adhésion croissante des Congolais au Mouvement de Libération AFC/M23-Twirwaneho ? La RDC a longtemps nié l'existence de discriminations envers les Tutsi en général, qu'il s'agisse des Banyamulenge ou des Tutsi du Nord-Kivu. Cette initiative marquerait-elle un tournant historique ou s'agit-il simplement d'une manœuvre politique ?
Vital Kamerhe aurait affirmé avec force : « Face aux innombrables menaces existentielles, la nécessité historique de la survie et de la conservation de notre peuple l'emporte largement sur toute forme de clivages et de divisions. Nous devons nous transcender et trouver les moyens politiques de bâtir une vision unifiée de l'histoire et de l'avenir de notre pays. J'en appelle ici aux dignes élus de notre peuple à s'engager avec sincérité dans la lutte contre toute forme de discrimination et de stigmatisation pour rassembler les Congolaises et Congolais de toutes origines et appartenances politiques autour de l'impératif de préserver la paix, la sécurité et l'intégrité de notre territoire pour les générations actuelles et futures. C'est dans ce cadre que l'initiative législative portant sur la lutte contre le tribalisme, le racisme et la xénophobie devra faire l'objet d'une attention soutenue ».
Dans le même temps, il a exhorté ses collègues à user de toute leur influence au sein de la population et de la classe politique pour renforcer l'unité nationale, qu'il présente comme le principal rempart contre le projet de balkanisation de la RDC, au moment le régime en place promeut les propagandistes qui prononce publiquement les discours de haine. Contadiction des dit et de faits. « C'est au prix du dépassement de l'horizon des intérêts individuels que nous préserverons notre pays du spectre de la balkanisation qui plane sur lui depuis quelques décennies. Les forces de la division sont activement à l'œuvre et cherchent à tout prix à fragiliser la cohésion nationale, notamment à travers les réseaux sociaux », a-t-il ajouté.
Lors de la législature passée, le député Garry Sakata avait déposé une proposition de loi pour lutter contre le tribalisme. Les contours et le contenu de ce texte ne sont pas encore connus avec précision, mais selon le service de communication du bureau de la chambre basse du parlement, il serait notamment question de l'insertion de l'infraction d'outrage à la tribu, d'abus de pouvoir tribal par l'interdiction de nommer un ressortissant de sa province comme directeur de cabinet à tous les postes politiques, la dissolution de toutes les associations à caractère tribal, la création d'un organisme chargé de l'éducation anti-discrimination, etc. Jusqu'à la fin de la législature, ce texte n'a jamais été examiné au niveau de l'Assemblée nationale.
Garry Sakata, réélu comme député national, pourrait relancer cette initiative louable dans le sillage de l'interpellation de Vital Kamerhe. Mais la question reste de savoir si ce projet vise sincèrement à déconstruire les clivages ou s'il sert simplement à reconquérir une population de plus en plus lassée et attirée par les forces de libération comme le M23 et Twirwaneho.
Les cadres du M23 et de Twirwaneho ont toujours agi pour protéger les Tutsis et les Banyamulenge, réellement menacés par le pouvoir de Kinshasa. Les menaces contre les derniers villages banyamulenges ne cessent de s'accroître, et jamais Kinshasa n'a voulu évoquer le retour des milliers de Tutsi réfugiés depuis plusieurs décennies. Alors, s'agit-il d'un simulacre pour regagner la confiance d'une population excédée, ou d'un réel changement ?
Si le régionalisme est interdit, va-t-on également abolir la considération de la citoyenneté sur base de critères morphologiques et culturelles? Respectera-t-on sincèrement cette nouvelle législation, si elle voit le jour, quand on sait qu'en RDC, il est monnaie courante de violer même la Constitution pour les intérêts individuels d'une poignée de dirigeants ? Kamerhe, lui-même accusé par le passé d'avoir tenu des propos extrémistes, aurait-il changé de vision, ou bien réagit-il parce que, après l'anéantissement des Tutsi, les Bashi, sa communauté, et les Swahilophones en général, sont devenus la prochaine cible de discrimination ?
Ainsi, si cette initiative législative voit le jour, elle pourrait marquer un pas vers une reconnaissance des discriminations existantes en RDC et leur prise en charge juridique. Toutefois, il reste à voir si cette volonté se traduira en une action concrète ou si elle ne sera qu'un discours de plus dans l'arsenal rhétorique du gouvernement. Les mois à venir seront déterminants pour juger de la sincérité de cette ambition législative.
L'initiative de Garry Sakata est en effet intéressante sur le papier, mais son application réelle est sujette à caution, surtout dans un pays où les lois sont souvent détournées à des fins politiques. la citoyenneté en RDC est encore largement définie par des critères ethniques et morphologiques, ce qui contredit l'esprit même d'une telle législation anti-tribalisme.
Quant à Kamerhe, son changement de position semble moins être une conversion idéologique sincère qu'une réaction aux dynamiques politiques actuelles, notamment la menace qui pèse désormais sur sa propre communauté après avoir longtemps ciblé les Tutsi et les Banyamulenge. Cette proposition de loi pourrait réellement aboutir ou sera-t-elle enterrée comme beaucoup d'autres avant elle ?
Le 17 mars 2025
Paul Kabudogo Rugaba
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