Coupons l’arbre à la racine, retranchons-le de la terre des vivants, afin qu’on oublie jusqu’à son nom[1].
Ce verset biblique du livre de Jérémie correspond parfaitement à la situation actuelle de la communauté des Banyamulenge. En effet, tel est l’objectif de ceux qui les attaquent dans les moyens et hauts plateaux des territoires de Fizi, Mwenga et Uvira. Ils veulent les déraciner pour les projeter sur le chemin de l’errance et de l’apatridie.
Ils le clament haut et fort. Il ne s’agit pas d’un exode, mais bien d’une expulsion ou d’une déportation. En effet, l’exode est libérateur, tandis que l’expulsion ou la déportation sont des asservissements ; elles conduisent à la déshumanisation d’un peuple.
Quant à ces mal-aimés, en désespoir de cause, ils sont prêts à verser la dernière goutte de leur sang pour se défendre et sauvegarder un droit inaliénable historiquement et incontestablement acquis, en l’occurrence leur nationalité congolaise que leur reconnaissent l’histoire et les successives constitutions du pays, celle de Luluabourg[2] (1964) et celle de Kinshasa (2006).
Pour tenter désespérément de se défendre, même les mineurs prennent les armes qu’ils ramassent par-ci par-là, au gré des combats, comme on ramasse du boit de chauffage dans la nature. C’est dire que dans la région, les armes à feu de fortune se ramassent comme des fruits tombés du haut des arbres. Ça devient plus facile de tuer que de se nourrir.
Du point de vue juridique et légal, aucun Congolais digne de ce nom et de foi ne peut contester la nationalité des Banyamulenge sans prendre le risque de se porter à faux contre la constitution en vigueur. Cela veut dire que ceux qui s’agitent et s’engagent sur le terrain du déni entrent dans la catégorie des hors la loi. Leur unique critère de jugement, c’est la haine tribale.
Ces contestateurs de la nationalité congolaise des Banyamulenge se substituent à la constitution du pays. Ils se comportent comme le roi Louis XIV qui s’identifiait à la France : « la France, c’est moi », prétendait-il.
Dans cette macabre affaire, ce qui est intriguant, c’est le silence des autorités politiques et administratives du pays. Elles affichent un comportement ambigu qui fait soupçonner une tacite complicité. Elles laissent les belligérants régler leurs comptes entre eux, quitte à ce que la raison du plus fort l’emporte et remplace la loi constitutionnelle. Cela veut dire que le plus fort, le plus violent a toujours raison et en impose, coûte que coûte, même contre toute évidence et tout entendement.
Pour corser les discours, une avalanche de médias, dont la plupart sont basés en dehors du pays, s’active, foisonne et fait rage. Elle est relayée par des discours incendiaires des agitateurs en mal de pouvoir politique et de popularité dans leur pays qu’ils ont enfoncé dans un gouffre pendant trois décennies. Ils attisent le feu de la haine qui ravage la contrée et serre l’étau autour des sevrés de la compassion. Leurs discours et écrits démontrent qu’il est plus facile de détruire que de bâtir, de semer la haine que l’amour, de faire la guerre que la paix, de détruire que de bâtir.
On pourrait comparer la situation actuelle des Banyamulenge à celle des Rohingyas, récemment chassés de la Birmanie, presque un millénaire après leur installation dans ce pays, pour la simple raison qu’ils professent la foi islamique et qu’ils sont différents de ceux qui se veulent de souche.
Ceci prouve à suffisance que, pour certains, ce n’est pas le nombre des années qui détermine l’acceptation des « éternels étrangers », mais le manque de place dans leurs cœurs. Elle est carrément vacante! Les cœurs des pourfendeurs des Banyamulenge sont vides d’amour! L’unique trône qui s’y trouve est occupé par le dieu de la haine. Car, il faut le reconnaître et le dire, ce qui se passe dans les moyens et hauts plateaux du Sud-Kivu est purement et simplement diabolique.
En effet, dans cette agitation tonitruante, il s’agit tout simplement de la haine tribale et non du fondement juridique, ni historique. En réalité, la haine tribale n’est qu’un substrat sociologique et psychologique du racisme.
Les Banyamulenge, persécutés dès l’aube des années 1980, dans l’espoir de récupérer leur légitimité nationale leur déniée par leurs antagonistes infiltrés dans les rouages de l’Etat du parti unique (MPR), lui prétèrent nom et main forte et l’on parla désormais de la rébellion des Banyamulenge.
Hm! Quelle ironie! Que dis-je? Quel cynisme! Sur la liste des quatre fondateurs et chefs du mouvement insurrectionnel qui ont formé la coallition dénomée Alliance des Forces de Libération du Congo-Zaïre (AFDL) ne figurait aucun Munyamulenge. Tenez! Ngandu Kisase est un Mutetela du Kasai Oriental (diocèse de Tshumbe), Laurent-Désiré Kabila est un Muluba du Nord-Katanga (Bikoro, diocèse de Manono), Déogratias Bugera est un Munyarwanda du Nord-Kivu (diocèse de Goma) et Nindaga Masasu est un Mushi de Bukavu[3] (archidiocèse de Bukavu).
Les pauvres Banyamulenge n’ont fait que prêter le prénom de baptême de ce fragile alliage et les bras pour manier les armes de leurs manipulateurs. Ce prête-nom a servi plusieurs intérêts et causes, hormis ceux des porteurs des armes et prêteurs du prénom. Cette couverture a attiré, attisé et justifié toutes les animosités zaïro-congolaises contre eux. Ils furent accusés d’être la cause de toutes les misères du pays, la leur y comprise.
Un ouragan ravageur
L’un des signes du marasme de la république démocratique du Congo, c’est la situation que vivent les provinces du Nord-Kivu, du Sud-Kivu et de l’Ituri. En ce qui concerne le Sud-Kivu, en particulier les territoires de Fizi, Mwenga et Uvira, pour la toute première fois de la douloureuse et tragique histoire du diocèse d’Uvira, essentiellement composé de ces trois territoires, ce n’est plus une question de combats entre belligérants, mais on s’attaque aussi aux faibles et paisibles citoyens innocents et démunis, ainsi qu’à leurs biens, avec une hargne et un acharnement de destruction massive.
Tout y passe méthodiquement et systématiquement: maisons, champs, récoltes et vaches, l’unique véritable source de revenue des Banyamulenge. On veut les affamer, les appauvrir en les dépouillant de tout, pour les réduire à l’état de misérables voués à l’errance. Cela me fait penser au plan tristement historique de la « solution finale » des génocidaires allemands qui a emporté 6.000.000 de Juifs et tant d’autres victimes de la folie totalitaire du nazisme.
Presque un siècle plus tard, en république démocratique du Congo, les idées du mein Kampf hitlérien semblent inspirer les détracteurs de Banyamulenge. Depuis le mois de mais 2019, plus de 120 villages de ces derniers ont disparu de la carte du Sud-Kivu, du Nord au Sud, de l’Est à l’Ouest, sur une étendue géographique d’environ 150 x 50 km, soit une superficie d’environ 7.500 km². Plus de 3000 maisons ont déjà été incendiées et plus de 200 personnes ont déjà été tuées à coup de balles.
Plus de 45.000 rescapés de cette chasse systématique à l’homme se retrouvent concentrés à Minembwe centre, sans compter ceux qui sont coincées à Bijombo, Kabara et Mikenke, dans des conditions à la limite du supportable et de l’inhumanité. Le nombre total des déplacés frôle les 70.000 personnes.
Hommes, femmes et enfants de tous les âges y grouillent comme des sardines dans des étangs artificiels on ne peut plus exigus. Cela crée le problème facile à imaginer des conditions hygiéniques épouvantables et de la promiscuité aux conséquences morales désastreuses. Leur santé y est carrément hypothéquée.
Ils s’y bousculent comme des troupeaux d’animaux domestiques à court d’espace suffisant pour se mouvoir et respirer un air sain et vivifiant. Ils viennent de perdre tout leur tissu économique, soit la quasi-totalité de leurs vaches (plus de 100.000 !).
Et ce n’est pas encore fini ! La tranchante cognée continue de s’abattre sur les malheureux fugitifs. Au matin du 25/11/2019, les villages de Rugezi, Kakangala et Kabingo se sont presque vidés de leurs habitants et 150 vaches ont été razziées par les assaillants mai-mai et leurs alliés étrangers devant les éléments amusés, pour ne pas dire complices, des forces armées congolaises (FARCD).
De même, ce matin du 08 décembre 2019, j’apprends que le colonel Kitenge aurait razzié un troupeau de vaches à Biziba. Elles appartiennent à cinq personnes : Bahati, Jondwe, Rukema, Maringi et Rugirandeshyo. Pendant les affrontements, un neveu de Rukema a été blessé. C’est du jamais vu dans l’histoire de notre diocèse ! C’est la première fois que les forces armées congolaises pactisent publiquement avec les mai-mai.
Dépouillés de tout et livrés à la merci des intempéries de la nature alpine des hauts plateaux[4], les traqués, angoissés, ne peuvent que vivre sous l’empire du et spectre d’une mort méticuleusement programmée et en cours d’exécution.
Des milliers de fugitifs qui ont réussi à se soustraire à ce carnage innommable ont déjà franchi les frontières du pays, pour aller grossir les camps de réfugiés déjà existant depuis plus d’une dizaine d’années, particulièrement en Ouganda.
† Jérôme Gapangwa Nteziryayo
Evêque émérite d’Uvira
[1] Jr 11, 19b.
[2] L’actuelle ville de Kananga, au Kasaï occidental.
[3] Pour avoir une mère rwandaise, Masasu Nindaga est souvent traité de Rwandais, alors que son père est un pur Mushi de Mbobero, la colline qui abrite le collège Kitumaini, l’ex collège Saint Paul qui a formé le Président rwandais, Son Excellence Monsieur Juvénal Habyarimana, situé en face de la cité dortoir de Mbagira. Les Bashi, tout comme toutes les autres tribus du Sud-Kivu, à part les Babuyu de Kabeya, sont des patriarcaux. Selon le régime et la jurisprudence patriarcaux, les enfants appartiennent au clan et à la tribu du père. Mais pour déverser la hargne sur les Rwandais, on tend à associer Masasu Nindaga au peuple auquel appartient sa mère. L’exemple n’est pas l’unique dans la confusion politique de la république démocratique du Congo.
[4] La plupart des villages incendiés se situent à plus de 2000 m. d’altitude, certains même à environ 2850 m. d’altitude. Minembwe centre se trouve à 1950 m. d’altitude, tandis que Mikenke se situe à environ 2350 m.d’altitude.
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