En 1965, lors de la rébellion de Simba Mulele, de nombreuses femmes et enfants furent capturés et emmenés en captivité. À cette époque, les principes des Mai-Mai étaient de tuer les hommes tout en épargnant les femmes, mais ces dernières devenaient des prises de guerre, s’appropriant ainsi leur corps. C’est dans ce contexte tragique que Marie-Clémentine Anuarite Nengapeta, une religieuse catholique qui avait fait vœu de chasteté, trouva la mort. Refusant obstinément de devenir l'épouse d’un commandant Simba, elle fut assassinée dans la région du Haut-Zaïre, pour sa fidélité à ses principes religieux. En hommage à son sacrifice, elle fut béatifiée et proclamée martyre de la pureté le 15 août 1985 à Kinshasa.
Cependant, cette forme de violence ne s'est pas limitée au Haut-Zaïre. Dans la région du Sud-Kivu, les Banyamulenge furent également victimes de cette barbarie. Des figures telles que Laurent-Désiré Kabila, ainsi que des seigneurs de guerre comme Ndalo et Zabulon, prirent pour épouses certaines captives d’origine Banyamulenge. Celles qui résistèrent à cette appropriation furent exécutées sans aucune forme de procès. Ces femmes, héroïques dans leur refus de se soumettre, ne furent malheureusement jamais reconnues comme martyres ou bienheureuses, contrairement à Anuarite Nengapeta. Elles resteront dans l’oubli, victimes d’une injustice systématique dans la logique du Vatican dans ses processus de canonisation qui, selon certains, reflète une profonde inégalité dans la reconnaissance des souffrances.
Les femmes et filles banyamulenge enlevées durant cette période ne furent jamais rendues à leur communauté. C’est dans ce contexte de violence que est né Joseph Kabila, le fils de Laurent-Désiré Kabila, souvent accusé à tort et à travers d’être un neveu des Tutsi. Ces accusations, en plus de refléter la stigmatisation ethnique, étaient également liées aux crimes de viol et d’asservissement que son père et ses compagnons de guerre avaient commis à l’époque. Certains soupçonnent même que Joseph Kabila puisse être le fils de l’une de ces captives réduites en esclavage, une rumeur qui n’a jamais été prouvée.
Le 18 septembre 1996, un mercredi, la population banyamulenge de la localité de Bibogobogo, rassemblée pour un culte hebdomadaire dans une église, fut brutalement arrêtée par les militaires des Forces Armées Zaïroises (FAZ), en collaboration avec des membres de la communauté Babembe, des miliciens Maï-Maï, et des Interahamwe venus du Rwanda, dans le contexte de la guerre du génocide contre les Tutsi au Rwanda. Plus de 700 personnes furent alors conduites à la prison de Baraka, où hommes, femmes et enfants furent séparés et antassés dans des hangars.
D’après les témoignages des survivants, deux jours plus tard, le 20 septembre 1996, les Banyamulenge des villages de Bivumu, Magaja I et Magaja II furent arrêtés à leur tour par les militaires déployés à Lweba et à Mbokoen conivence avec les autorités locales. Le 24 septembre, environ 300 adultes, principalement des hommes, furent sauvagement exécutés. Leurs corps furent jetés dans une fosse commune, une tentative de dissimuler l'horreur de ces assassinats massifs. Trois jours plus tard, le 27 septembre, environ 600 femmes furent également victimes d’atrocités : elles furent violées avant d’être massacrées. Miraculeusement, cinq femmes et un homme parvinrent à échapper à la mort, et témoigneront plus tard de la barbarie qui s’était abattue sur leur communauté.
En plus de ces adultes, 159 enfants âgés de 1 à 13 ans furent capturés. Parmi eux, 13 furent assassinés à Baraka, tandis que les 146 autres furent envoyés en captivité en Tanzanie, dans le camp de réfugiés de Nyarugusu, près de Kigoma. Parmi ces enfants, seuls cinq purent retourner dans leur région d’origine à l’âge adulte. Le sort des 141 autres enfants demeure, à ce jour, un mystère, laissant leurs familles dans une douleur et une incertitude profondes.
Certains de ces enfants ont été adoptés par des familles de ceux qui les avaient emportés, tandis que d'autres ont été vendus comme esclaves. Les conditions de vie de ces enfants variaient selon l'attitude et les intérêts de leurs familles d'accueil. Pour beaucoup, ces familles les exploitaient pour accomplir des travaux ménagers, et dans certains cas, utilisaient leur présence pour accélérer des dossiers de réinstallation dans des pays occidentaux.
Quel que soit leur sort, tous ces enfants ont subi un lavage de cerveau systématique, où on leur a inculqué l’idée que les Banyamulenge étaient des monstres responsables du massacre de leurs parents. Ce mensonge, répété durant des années, a effacé de nombreuses vérités de leurs esprits, contribuant à une profonde distorsion de leur identité. Le recit de Nyamunezero rebptisée Asindi est un temoignage éloquent.
Les tentatives de recensement de ces enfants par les familles Banyamulenge ont souvent tourné au drame, échappant de justesse à des attaques violentes, car le climat de haine persistait. Le Comité international de la Croix-Rouge (CICR), qui aurait pu jouer un rôle crucial dans ces recherches, s’est abstenu d’agir ou de faire un moindre pas dans ce sens, laissant ces enfants dans l’oubli et les familles sans espoir de les retrouver un jour.
Le droit international, par le biais des articles 7, 10, 20, 9 et 13, impose à tout État de prendre des mesures pour prévenir et éliminer les disparitions forcées, lesquelles sont considérées comme des crimes graves. Aucune justification, qu’elle soit politique, militaire ou autre, ne peut légitimer de telles violations. L’État congolais, en tant que garant du droit, avait l’obligation de mettre en œuvre des recours judiciaires efficaces afin de retrouver ces 141 enfants disparus, et de les rendre à leurs familles. Son silence face à cette tragédie est un manquement grave aux principes fondamentaux des droits de l'homme.
Malgré les appels de la communauté Banyamulenge à la Croix-Rouge internationale et aux Nations Unies pour réclamer le retour de ces enfants, ces organisations n’ont pas donné à cette situation l’attention qu'elle méritait. Jusqu'a present, 28 ans après, sur 141, cinq de ces enfants seulement ont été retrouvés , chacun ayant une histoire profondément émouvante et souvent horrifique, preille à de fictions de films d'horreur, à raconter qui sont des empreintes de souffrance et d’identité volée.
Avant la guerre de l’AFDL et même après, des Banyamulenge, dispersés aux quatre coins de la République Démocratique du Congo (RDC), s’étaient mariés à des membres d’autres communautés avec lesquels ils avaient eu des enfants. Lors des massacres des Banyamulenge qui ont précédé et suivi la guerre de l’AFDL, ces enfants sont restés avec le parent qui n’était pas visé par la persécution. Néanmoins, leur apparence les rendait facilement identifiables, et beaucoup ont subi des discriminations.
Les proches de leurs parents Banyamulenge, qui ignorent souvent où ils se trouvent, peinent à les localiser. Même lorsqu’ils en ont connaissance, se rendre dans ces zones reste un défi, compte tenu du climat de haine qui continue de viser les Banyamulenge. Cette communauté, déchirée par la perte de ses enfants, se retrouve incapable de faire le deuil ou de tirer un trait sur cette douloureuse histoire. Leur espoir de retrouver ces enfants disparus demeure vivant, bien que cet espoir semble de plus en plus illusoire à mesure que le temps passe.
En principe, partout dans le monde, il est d’usage de remettre les prisonniers une fois la guerre terminée, conformément aux normes et aux coutumes internationales. Cependant, chez les Wabembe, les choses se passent autrement. Ils rechignent souvent à libérer les captifs. Pourquoi ce phénomène ?
Déjà entre 1968 et 1972, le chef Karojo, une figure respectée, ne cessait de réclamer la libération des captifs détenus par les Maï-Maï Simba Mulele. Dans ses échanges avec les Wabembe, il leur disait : « Nous vous avons rendu vos membres de famille captifs chez nous, mais vous, vous ne rendez pas les nôtres. Où est alors la réconciliation ? » Cette question légitime et chargée de bon sens est restée sans réponse jusqu’à aujourd’hui.
Le refus de libérer les captifs chez les Wabembe n’est donc pas un phénomène nouveau. Cette pratique soulève des questions sur la volonté réelle de réconciliation et de paix durable dans cette région. Alors que d’autres communautés s’efforcent de respecter les accords post-conflit en restituant les captifs, cette réticence des Wabembe continue de marquer l’histoire de la région, entravant la construction d’une paix véritable.
Le monde est effectivement plein de juristes et d'avocats. Leur nombre est si élevé qu’il y en a même qui se portent volontaires pour défendre des causes aussi anciennes que celle de Jésus-Christ, mort il y a plus de 2000 ans au Moyen-Orient. D’autres se battent pour la cause des animaux maltraités, plaidant avec ardeur pour des êtres sans voix. Mais où sont-ils lorsqu'il s'agit de défendre les 141 enfants orphelins, déportés en esclavage par leurs bourreaux, qui croupissent depuis des années dans des camps de l’ONU sans qu’aucune solution ne soit trouvée pour leur libération?
Cette inégalité dans la manière dont la justice est rendue devient encore plus criante lorsqu’on considère le cas du collectif d'avocats représentant la communauté Banyamulenge. Leur plainte, déposée auprès de la Cour internationale de justice de La Haye, a été classée sans suite, sans explication claire. Le massacre de Gatumba, une tragédie atroce qui a coûté la vie à des centaines de Banyamulenge, a été relégué aux calendes grecques, comme si la justice pour ces victimes n'avait jamais été une priorité.
Pendant ce temps, les plaintes les plus récentes, comme celles de l'Afrique du Sud contre Israël au sujet de la Palestine, semblent avoir trouvé une audience en l’espace de quelques semaines. Comment expliquer cette rapidité d’action pour certaines causes et l’inaction totale pour d’autres? Où est donc l'égalité devant la loi, un principe fondamental que le monde entier prétend défendre?
La justice semble être à géométrie variable. Certains dossiers, portés par des voix influentes ou appuyés par des intérêts géopolitiques, avancent à grande vitesse, tandis que d’autres, représentant des populations marginalisées et sans voix, sont oubliés dans les méandres bureaucratiques. Cela soulève une question essentielle : est-ce que la justice est véritablement égale pour tous? Ou bien sommes-nous témoins d’un système où certaines vies valent plus que d'autres?
Le 19 sept 2024
Paul Kabudogo Rugaba
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