Citoyenneté à deux vitesses : quand les bâtisseurs du changement sont relégués
- Paul KABUDOGO RUGABA
- 14 avr.
- 3 min de lecture

Tout au long de l’histoire politique de la République démocratique du Congo (RDC), les Tutsis ont joué un rôle central dans les principales révolutions ayant conduit à des changements majeurs. Leur engagement et leur dévouement ont souvent été décisifs, notamment lors de renversements de régimes autoritaires. Pourtant, une constante regrettable se dégage : après chaque transition politique, ceux qui ont tant sacrifié sont relégués au second plan, voire complètement effacés de la scène nationale. Pire encore, leur mise à l’écart a parfois pris la forme d’une violence systématique, suggérant une volonté d’extermination.
La guerre de libération menée sous la bannière de l'Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo (AFDL) illustre parfaitement cette dynamique. Les Tutsis y ont participé de manière exceptionnelle, assumant les responsabilités les plus risquées et engageant leur propre sécurité pour un changement de régime. Pourtant, les fruits de cette victoire ont été monopolisés par le clan Kabila, sans reconnaissance officielle envers ceux qui avaient versé leur sang. Loin d’être honorés, les Tutsis ont été stigmatisés. En 1998, au lieu de leur rendre hommage, certains discours officiels, comme ceux de Yerodia Ndombasi, ont contribué à une campagne haineuse et déshumanisante à leur encontre.
Le même schéma s’est répété lors de la création du Rassemblement congolais pour la démocratie (RCD). Ce mouvement, initié pour corriger les dérives du régime en place et aboutissant aux Accords de Sun City, a posé les jalons d’un processus démocratique salué à l’époque. Cependant, le mérite d’un acteur clé comme Azarias Ruberwa, figure tutsie de premier plan dans ces négociations, a été nié. Aujourd’hui, il vit en exil forcé, victime d’une ingratitude politique institutionnalisée.
Le Mouvement AFC/M23 semble s’inscrire dans une dynamique déjà observée par le passé. Il est encore prématuré de tirer des conclusions définitives, mais les premiers éléments indiquent une répétition de schémas politiques connus. Bien que les Tutsis soient originaires des provinces du Kivu, la gestion politique de ces territoires est systématiquement confiée à d'autres communautés, renforçant ainsi un sentiment d'exclusion et d’infériorité citoyenne.
Souvent perçus comme des instruments de rupture ou de changement, les Tutsis sont mobilisés à des moments charnières pour infléchir le cours de l’histoire politique du pays, sans pour autant être associés durablement à la gestion du pouvoir. Une fois mis à l’écart, ils deviennent commodément les boucs émissaires des échecs institutionnels, ce qui alimente une forme de citoyenneté à deux vitesses.
Cette exclusion systémique les relègue à un statut de citoyens de seconde zone, malgré leur contribution significative à l’histoire et au développement national. Une telle pratique constitue une violation flagrante des principes fondamentaux d’égalité et de justice républicaines, et rend leur sacrifice consenti dans le combat pour le changement vains et frustrant. Pendant ce temps, certains dirigeants issus des groupes majoritaires semblent moins préoccupés par la bonne gouvernance que par l’instauration de dynasties ethniques, transformant la gestion de l’État en une entreprise de domination clanique et héréditaire.
La gouvernance actuelle, sous le leadership du Président Félix Antoine Tshisekedi, illustre cette dérive : la majorité démographique ou tribale ne garantit pas une démocratie véritablement inclusive. Elle peut même se muer en une dictature de la majorité. Face à cette réalité, il devient urgent de repenser les fondements de notre système politique. À l’image des États-Unis, où les dirigeants sont choisis pour leur capacité à incarner une vision nationale plutôt que pour leur appartenance ethnique, la République Démocratique du Congo gagnerait à adopter un modèle de gouvernance basé sur le mérite, la compétence et l’unité nationale.
L’histoire récente offre pourtant des exemples de gouvernance exemplaire, portés par des membres de cette communauté souvent marginalisée : la gestion de feu Kanyamuhanga, considéré comme l’un des meilleurs gouverneurs que le Nord-Kivu ait connus, ou encore celle de feu Rugwiza au sein de l’OFIDA. Azarias Ruberwa et Moïse Nyarugabo ont également démontré une rare intégrité et transparence dans l’exercice de leurs fonctions respectives. Pourquoi ne pas s’inspirer de ces figures pour promouvoir une gouvernance inclusive fondée sur des valeurs éprouvées ?
Aucune démocratie ne peut s’épanouir tant que certains de ses citoyens sont systématiquement écartés des centres de décision, en dépit de leur engagement historique et des sacrifices consentis. Seules la reconnaissance, la justice et l’inclusion peuvent garantir une paix durable et un développement harmonieux de la nation.
Le 14 avril 2025 Paul Kabudogo Rugaba
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