Bibogobogo : Quand une Foi Détournée Condamne à la Soumission et au Massacre
- Paul KABUDOGO RUGABA
- 29 mars
- 5 min de lecture
Dernière mise à jour : 30 mars
a. Les Conséquences Tragiques d'une Vision Hérétique

L’histoire de Bibogobogo illustre de manière poignante les ravages qu’une interprétation erronée du christianisme peut engendrer. Cette localité, principalement habitée par les Banyamulenge, a été marquée par une vision religieuse qui prône la passivité face à l’oppression, au détriment du droit fondamental à l’autodéfense.
En 1989, un groupe de commerçants de bétail, habitué à acheminer leurs vaches vers Uvira, fut violemment attaqué à Mboko par des jeunes délinquants soutenus par des adultes de la communauté locale. Battus avec une brutalité inouïe, certains d’entre eux furent marqués à vie, devenant incapables de travailler. Leurs biens furent pillés. Face à cette agression, quelques-uns tentèrent de se défendre pour échapper à la menace. Pourtant, à leur retour, leur propre église, affiliée à la communauté méthodiste de la 8e CEPAC, leur refusa l’entrée, exigeant d’eux une confession publique pour avoir osé résister à l’oppression.
Sept ans plus tard, en 1996, la tragédie atteint un niveau effroyable. Plus de 10 000 personnes se rendirent volontairement à une armée qu’ils savaient hostile, refusant la protection des jeunes Banyamulenge organisés en autodéfense. Le résultat fut catastrophique : plus de 9 000 d’entre eux furent massacrés dans des conditions indescriptibles. Des familles entrières furent anéanties, laissant un vide irréparable.
Malheureusement, cette même logique destructrice persiste. Le 3 mars 2025, la localité fut une fois encore attaquée par une milice gouvernementale connue sous le nom de Wazalendo. Quelques jeunes, dans un ultime effort de survie, tentèrent de protéger leur communauté. Certains perdirent la vie dans cet acte courageux. Pourtant, l’église refusa de leur accorder une sépulture digne. Ils furent rejetés, traités comme des parias pour avoir osé défendre les leurs.
b. Une Déviation Funeste du Message Chrétien
Cette vision radicale d’un christianisme détourné de sa véritable essence expose toute une communauté à l’extermination. L’enseignement biblique ne condamne pas la légitime défense. Au contraire, il met en avant la protection des innocents et la résistance à l’oppression. Prôner la passivité absolue face à la barbarie revient à abandonner son peuple aux mains de ceux qui veulent sa disparition.
L’histoire tragique de Bibogobogo rappelle l’impérieuse nécessité de réinterpréter ces enseignements d’une manière qui ne sacrifie pas la vie humaine sur l’autel d’une docilité mal comprise. Sans cela, la communauté Banyamulenge continuera de payer le prix de cette vision erronée, subissant massacre après massacre sous le silence coupable de ceux qui prétendent prêcher l’amour et la paix.
L'attitude des pasteurs de cette église peut être analysée à travers la pensée de Friedrich Nietzsche, notamment son rejet du mensonge moral et religieux qui déforme la réalité au profit d’une vision idéalisée ou imposée.
Le refus de voir la réalité telle qu’elle est : Nietzsche affirme que le mensonge le plus répandu est celui que l’on se fait à soi-même. L'attitude de l’église méthodiste de la 8e CEPAC, qui condamne ceux qui se défendent et refuse d’honorer leurs morts, illustre cette négation du réel. Au lieu de reconnaître l'agression subie et la légitimité de l'autodéfense, elle impose un récit où toute résistance devient un péché. Cela rejoint l'idée nietzschéenne selon laquelle les institutions morales et religieuses façonnent une vérité artificielle qui empêche d’affronter le monde tel qu’il est.
La soumission à une morale de la faiblesse : Pour Nietzsche, la morale chrétienne repose sur une inversion des valeurs où la soumission et le renoncement sont érigés en vertus suprêmes. Cette dynamique se traduit par le rejet de ceux qui osent se défendre, tandis que ceux qui acceptent passivement l’oppression sont perçus comme vertueux. Ce phénomène rappelle la critique nietzschéenne du christianisme comme religion de la "résignation" qui valorise les faibles au détriment de ceux qui affirment leur puissance vitale.
Le rôle du mensonge dans l’endoctrinement : Nietzsche considère que les institutions religieuses et morales maintiennent leur autorité en imposant un récit qui détourne l’individu de sa propre volonté de puissance. L’église de la 8e CEPAC agit ici comme un "parti" au sens nietzschéen : elle impose une lecture des événements qui nie l’évidence (la nécessité de se défendre) et punit ceux qui sortent du cadre imposé. En d’autres termes, elle cultive un "mensonge moral" qui sert son propre maintien, au détriment de la réalité vécue par la communauté.
La négation de la causalité naturelle :Nietzsche critique la tendance des religions à remplacer la causalité naturelle par une causalité spirituelle. Ici, l’église refuse d’admettre que la violence subie appelle une réponse légitime, et préfère voir dans la soumission une sorte d’épreuve spirituelle, coupant ainsi tout lien avec la réalité du monde matériel et politique. Ce raisonnement, selon Nietzsche, est un aveuglement qui conduit à la destruction de ceux qui le suivent.
À travers le prisme nietzschéen, l’attitude de l’église ci-haut décrite apparaît comme une manifestation du ressentiment et de la morale des esclaves, qui sacralise la souffrance et condamne ceux qui cherchent à affirmer leur propre existence face à l'oppression. Elle illustre le refus de voir le monde tel qu'il est, préférant un mensonge collectif qui garantit la docilité des fidèles plutôt que leur survie.
c. Christianisme libérateur vs. Christianisme subjugant
Le vrai christianisme doit être libérateur plutôt que subjuguant . Cette affirmation rejoint une critique profonde du christianisme institutionnel tel qu’il a souvent été pratiqué. Si le message originel du Christ prône la justice, la liberté et la dignité humaine, l’histoire montre que certaines institutions religieuses ont parfois utilisé la foi comme un outil de soumission plutôt que d’émancipation.
Le christianisme peut être libérateur lorsqu'il :
Prône la dignité et la résistance face à l’injustice : Jésus lui-même s’est opposé aux pharisiens et aux puissants de son époque, dénonçant l’hypocrisie religieuse et défendant les opprimés.
Favorise l’émancipation individuelle et collective : Une foi authentique doit encourager l’homme à se tenir debout, à défendre ses droits et ceux des autres.
Reconnaît la nécessité de l’action : La prière et la foi ne doivent pas être des refuges pour l’inaction, mais une force pour transformer le monde.
En revanche, le christianisme devient subjugant lorsqu'il :
Encourage la passivité face à l’oppression : Certaines interprétations de la Bible ont été utilisées pour justifier l’esclavage, la colonisation ou la soumission aveugle aux autorités.
Prêche une obéissance absolue sans discernement : Lorsqu’une institution religieuse impose une vision unique et inflexible du bien et du mal, elle étouffe la pensée critique et l’autonomie morale.
Remplace la responsabilité par une fatalité divine : En attribuant toute souffrance à une volonté divine inéluctable, elle empêche les fidèles de lutter contre les injustices et les condamne à vivre un enfer éternel.
d. Réconcilier Foi et Liberté
Un christianisme véritablement libérateur doit reconnaître que la foi ne signifie pas soumission aveugle, mais engagement actif. Comme le dit Jacques 2:26 : "La foi sans les œuvres est morte." Défendre la justice et la dignité humaine fait partie intégrante de la spiritualité chrétienne.
Si une église refuse de donner une sépulture digne à ceux qui ont défendu leur communauté, elle trahit l’essence même du christianisme. Elle devient alors une institution qui perpétue un mensonge moral, comme dirait Nietzsche, en préférant la docilité au courage, la résignation à la justice.
Un christianisme fidèle à son message doit être une force de libération, non un instrument de soumission favorisant la persécution.
Le 29 mars 2025
Paul Kabudogo Rugaba
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