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Paul KABUDOGO RUGABA

Banyamulenge : Du Christianisme au Fanatisme et à la Terreur de Abayumbe


Depuis leur conversion au christianisme, les Banyamulenge ont adopté cette religion comme s'il s'agissait de leur propre culture, allant même jusqu'à tomber dans un fanatisme qui leur est unique. Cette communauté a particulièrement embrassé la branche protestante pentecôtiste du christianisme, au point de rejeter et condamner leurs propres traditions culturelles comme des pratiques païennes. Cette situation a conduit à un rejet systématique non seulement des autres religions, mais aussi des autres branches du christianisme, y compris le catholicisme, considéré lui-même comme païen.

Dans ce contexte, les pasteurs ont pris une place prépondérante, devenant les figures incontestées de la communauté. En l'absence d'une administration solide, ces leaders religieux exercent un pouvoir dictatorial, influençant fortement les décisions et les opinions des membres de la communauté. Leur autorité est rarement remise en question, et leur influence est omniprésente.

Récemment, cette dynamique s'est étendue aux réseaux sociaux, en particulier sur des plateformes comme WhatsApp. Dès qu'un groupe est créé pour discuter de sujets divers tels que la culture ou l'histoire, il est rapidement envahi par des passages bibliques et des chansons de chorale. Cette saturation de contenu religieux rend difficile la discussion d'autres sujets, ce qui devient agaçant pour de nombreux membres du groupe.

Cette pratique soulève plusieurs questions importantes. Est-ce une nouvelle forme d'évangélisation, visant à occuper tout espace de dialogue avec des messages religieux ? Cette invasion numérique n'est-elle pas une manière de forcer les consciences des autres, empiétant sur leur liberté de pensée et d’expression.

Il est crucial de se demander si cette forme agressive de diffusion de la foi ne nuit pas à l'évangélisation elle-même. Une publicité exagérée et intrusive peut avoir l'effet inverse de celui escompté, créant un rejet plutôt qu'une adhésion. La religion devrait-elle forcer la nature humaine à ce point ?

Peu de voix osent s'opposer à cette situation, par crainte d'être perçues comme rejetant Dieu. Cette pression sociale et religieuse étouffe toute forme de dissidence, renforçant encore plus le pouvoir des pasteurs et surtout de ceux qu’on appelle « Abayumbe » (= les messagers), limitant la diversité des opinions au sein de la communauté.

La situation des Banyamulenge illustre les dangers du fanatisme religieux et de l'autoritarisme spirituel. Si le christianisme a apporté une nouvelle dimension spirituelle à cette communauté, il est essentiel de trouver un équilibre qui respecte également les traditions culturelles et les libertés individuelles. Une évangélisation plus respectueuse et moins invasive pourrait favoriser une cohabitation harmonieuse des différentes croyances et opinions, enrichissant ainsi le tissu social des Banyamulenge plutôt que de le diviser.

Revenons un peu plus en détail  au phénomène des « Abayumbe ». Le terme "Abayumbe" dérive du mot swahili "Ujumbe," signifiant message, et ceux qui portent ce message sont appelés "Wajumbe." Par déformation linguistique, le Kinyamulenge utilise le terme "Abayumbe." À l'origine, ce terme désignait des messagers, mais aujourd'hui, il évoque bien plus qu'un simple porteur de nouvelles.

Les Abayumbe sont désormais comme des petits orchestres composés de jeunes hommes et femmes qui se forment spontanément pour effectuer des tournées. Lors de ces tournées, ils chantent, prêchent, prient, parlent des langues inexistantes et incompréhensibles qu’ils prétendent être inspirées par l’Esprit Saint  puis se livrent à des spectacles où ils prétendent accomplir des miracles, pratiquer la divination et déterrer la sorcellerie. Ces pratiques inspirent la terreur chez les membres les plus vulnérables de la communauté, notamment les pauvres et les veuves.

Autrefois, les Abayumbe utilisaient le tam-tam et le ikondera. Avec l'avènement de la technologie, ils ont intégré des synthétiseurs (ou synthés) à leurs performances. Ces instruments modernes ont apporté une dimension plus spectaculaire au phénomène des Abayumbe.

Les séances de danse des Abayumbe appelé " Igisirimba" ressemblent à des exercices d'échauffement ou à un marathon sur place, ou disons, semblables à de la gym tonique. Le rythme saccadé de la musique avec un volume étourdissant s’accélère graduellement, donnant l'impression que les participants sont animés par une source électrique ou un moteur. Après quelques minutes, la sueur coule à flots. Les chants, souvent répétés plusieurs fois, ne semblent ni les gêner ni les fatiguer.

Les cris d’« alléluia » retentissent des milliers de fois, et une fois la foule électrisée, l'ambiance devient intense. Les participants ressentent des émotions, crient, et pleurent de manière incontrôlable. Cette énergie collective crée une atmosphère unique, où la frénésie des mouvements et des chants engendre une expérience profondément immersive et captivante. A la fin, tout le monde dit : «  Twafashijwe! »(littéralement= nous avons été aidés),  expression qui peut se traduire par : «  nous sommes exhaussé ou délivrés! »

Toutefois, les spectacles de détection de sorcellerie sont particulièrement inquiétants car ils stigmatisent et accusent des individus d'être responsables des malheurs de leurs voisins. Les victimes de ces accusations sont souvent des veuves et des pauvres, qui n'ont ni les moyens de se défendre ni les ressources pour se protéger contre de telles allégations. Parfois, ces accusations servent de prétexte pour régler des comptes personnels, transformant ainsi les Abayumbe en instruments de vengeance.

Les activités des Abayumbe ont semé la discorde au sein de la communauté Banyamulenge. Les accusations de sorcellerie créent un climat de suspicion et de peur, fracturant les liens communautaires et engendrant une atmosphère de méfiance généralisée. Les conséquences psychologiques pour les accusés et leurs familles sont dévastatrices, entraînant souvent l'ostracisation, la dépression, et parfois des actes de violence.

Malgré les effets néfastes de leurs actions, les Abayumbe attirent une large part de la jeunesse banyamulenge. Leur capacité à impressionner et leur promesse de révéler des vérités cachées séduisent les jeunes, qui se joignent à eux en grand nombre. Ce phénomène complique davantage les efforts pour éradiquer cette pratique nuisible de la société.

Il est urgent pour la communauté Banyamulenge de reconnaître les dangers posés par les Abayumbe et de prendre des mesures pour protéger les plus vulnérables. Cela nécessite non seulement des interventions communautaires mais aussi une éducation pour sensibiliser les jeunes aux conséquences de ces pratiques. La communauté doit également renforcer les structures de soutien pour les victimes d'accusations de sorcellerie et promouvoir des moyens pacifiques de résoudre les conflits et les ressentiments personnels.

Les Abayumbe, de simples messagers à l'origine, sont devenus une force perturbatrice au sein de la communauté Banyamulenge. En utilisant la musique, la prédication et des pratiques prétendument miraculeuses, ils ont transformé le paysage social, semant la peur et la division. Pour préserver l'harmonie et la cohésion de la communauté, il est impératif de comprendre et d'aborder les motivations qui poussent les jeunes à rejoindre les Abayumbe et de trouver des solutions pour mettre fin à cette culture de la terreur et de la suspicion.



le 24 mai 2024

Paul Kabudogo Rugaba

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