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Paul KABUDOGO RUGABA

Au-delà de l’histoire écrite, il y a une vraie orale inédite. Partie III

Dernière mise à jour : 22 sept.


Quid de Banyamulenge ?

Avant de définir les Banyamulenge, il est essentiel de clarifier certains concepts souvent utilisés pour éviter toute confusion.


Tutsi : Ce terme fait référence à une ethnie ou une race. Les Tutsi se retrouvent au Rwanda, au Burundi, en Tanzanie, et en République Démocratique du Congo (RDC), entre autres.

Rwandais : Ce terme désigne une nationalité spécifique, celle des citoyens du Rwanda, et est strictement lié aux frontières actuelles du pays.


Nyarwanda : Ce concept, auquel on peut ajouter le suffixe "Mu" pour former le mot Munyarwanda (au pluriel Banyarwanda), renvoie plutôt à une notion de culture ou de nation, indépendamment des frontières actuelles du Rwanda. C'est une notion plus large qui transcende les frontières et les ethnies. Parmi les Banyarwanda, on trouve des Pygmées, des Bantous (Hutu, Shi, Havu) et des Hamites (Tutsi), ainsi que toutes les formes d'hybrides issues de ces groupes. Par exemple, les Hutu, les Tutsi et les Twa rwandophones du Nord-Kivu sont également appelés Banyarwanda.

Congolais : Ce terme désigne une personne de nationalité congolaise.

Mukongo (au pluriel Bakongo) : Ce terme fait référence à une personne appartenant à la tribu ou à la culture des Bakongo. Comme pour le terme Munyarwanda, il dépasse les limites des deux pays portant le nom de Congo (la République Démocratique du Congo, aussi appelée Congo-Kinshasa, et la République du Congo avec Brazzaville pour capitale). Il existe même des Bakongo qui ne sont pas Congolais, notamment en Angola et, probablement, au Gabon.

Cette réalité s'applique également aux termes « Burundais » et « Barundi », ainsi qu'à « Somalien » et « Somali ». Le terme « Burundais » renvoie à la nationalité, tandis que « Barundi » désigne un groupe culturel qui transcende les frontières du Burundi. De même, « Somalien » fait référence à la nationalité, tandis que « Somali » renvoie à une identité culturelle plus large, incluant des populations au-delà des limites géographiques de la Somalie.

Cependant, cette distinction n'est pas uniforme à travers tous les pays. Chaque région, chaque nation et chaque tribu possède une histoire unique et complexe. Ainsi, la composition d'un peuple, ses identités et ses dénominations varient en fonction de son contexte historique, géopolitique et culturel. Les frontières modernes ne peuvent pas toujours refléter les réalités culturelles anciennes, car l'identité d'un peuple dépasse souvent les limites imposées par les États-nations.

Ces distinctions sont cruciales pour une compréhension précise des identités culturelles et ethniques dans la région, et pour aborder de manière éclairée la définition des Banyamulenge.


Le terme Banyamulenge

Dans les communautés homogènes soient-elles, il existe un mécanisme de s’identifier par des groupes, des clans, de lieus de provenances, des activités etc.

Le terme Banyamulenge a été utilisé pour la première fois par les Rwandais après création des frontières actuelles pour distinguer le Munyarwanda du Rwanda et le Munyarwanda du Congo précisément de Mulenge. C’est un système couramment utilise partout d’identifier une population par son milieu de résidence. On dit les Babwali = habitant de Bubwari. En réalité ce sont de Bazoba ou Bajoba. On parle des Kinois pour habitant de Kinshasa constitués des personnes issues de tous les coins du pays.

  Ce terme Banyamulenge fut timidement renforcé à l’arrivées de plusieurs travailleurs Rwandais amenés par les colonisateurs belges pour travailler dans les mines notamment : GECAMINE, MGL devenu SOMINKI et à l’afflux de masse des réfugiés tutsi Rwandais fuyant les massacres de 1959 qui alternaient l’appellation Munyamurenge et Muntu pour désigner le même peuple.

Il reprit avec force vers les années 69 quand commença à véhiculer l’idéologie ségrégationniste et discriminatoire qui voulait, dans une confusion entretenue, jeter dans le même sac les tutsie autochtones et les tutsis refugiés. C’est exactement la même carte que sont entrains de jouer Kaliba, Nzanga, Bitakwira, Fayulu, Mubake, Mbganda, Kwebe, Misare, Dayiwere etc. malheureusement la liste  des disciple de Anzuluni Isilo Onyonye ne fait que s’allonger.  

Il explosa quand, en fin de compte, on déclara la guerre au Banyamulenge en voulant « les effacer de la carte de la terre » selon les termes du vice-gouverneur à l’époque, Mr Lwabanji Lwasi Ngabo. C’est à ce nom Banyamulenge qu’est attitré la révolution qui a déposé du pouvoir le dictateur Mobutu. Actuellement il est dans tous les dictionnaires et su les moteurs de recherche comme Google et autres. Ceux qui tentent de l’étouffer, ils ne le peuvent plus. Ils doivent obtempérer. Plus ils essaient, plus ils font sa promotion de manière spectaculaire.

C’est le 11 juin 1969, qu’un conseil de 13 sages représentant l'ensemble de la communauté prit une décision historique : celle d'adopter le nom "Banyamulenge" pour désigner leur tribu. Ce choix s'inscrivait dans un contexte de tensions identitaires croissantes au sein de la région.

À cette époque, le Mwami Lenge des Bavira, qui avait rejoint le camp des Maï-Maï, fut capturé par des guerriers banyamulenge alors qu'il se trouvait à Chanzovu, sur le haut-plateau d'Uvira. Il fut ramené à Uvira, et après la rébellion, il fut réhabilité dans son rôle de Mwami. Toutefois, il se lança dans une campagne de vengeance en remettant en cause la congolité des Banyamulenge. Cette manigance fut reprise par les Maï-Maï Babembe d'Itombwe et de Lulenge, qui, après avoir subi de lourdes défaites, cherchèrent à discréditer les Banyamulenge en utilisant le slogan « Wanyarwanda wote, warudiye kwawo » (que tous les Rwandais rentrent chez eux). Ce slogan faisait allusion aux Tutsi congolais et aux Tutsi réfugiés rwandais de 1959 qui vivaient encore dans la plaine de la Ruzizi.

Un incident marquant eut lieu à la sucrerie de Kiliba. Parmi les coupeurs de canne à sucre, il y avait quelques Banyamulenge, dont Tahiro Jonathan, du clan des Basinga, et Nyarushumba, du clan des Basama. Lors du recensement, ils furent exclus sous prétexte qu'ils étaient considérés comme des Rwandais. L'information parvint rapidement à Kabarure, alors enseignant et représentant des Banyamulenge, investi par le général Kaniki, chef des opérations militaires. Conscient de la gravité de la situation, Kabarure convoqua une réunion de notables, y compris des patriarches, pour discuter de cette confusion que certains Congolais tentaient délibérément de semer.

La réunion, qui dura deux jours, rassembla des personnalités influentes telles que Kabarure Sebasonera, Kajabika André, Mwungura Mathieu, Mutanga David, Bipamba Paul, Mulondanyi Silas, Ndahamikwa Lazare, Sebugorore Paul, Rubibi Job, Mutumitsi Daniel, Karojo Enock, Ruharara Simon, et Semajambi Deogratias. Leur objectif principal était de lever l'équivoque sur leur identité. Après plusieurs propositions, le nom "Banyamulenge" fut retenu en raison de ses racines historiques convaincantes. Bien que ces sages n'aient eu qu'un niveau d'étude primaire, Munyanganzo Richard les aida à rédiger une lettre en français, qui fut ensuite déposée à tous les échelons administratifs : au niveau du territoire, de la sous-région, de la région, et enfin à la capitale.

Cette décision marqua un tournant dans l'histoire de la communauté Banyamulenge, consolidant leur identité face aux tentatives d'exclusion et de marginalisation.

Le terme "Banyamulenge" a été officiellement introduit dans la liste des tribus de la République démocratique du Congo, grâce à la défense acharnée de l'honorable Gisaro, quelques années avant sa mort. Ce terme, cependant, a été vigoureusement combattu par Jean Ruhigita Ndagora Bugwika, représentant légal de la communauté des églises pentecôtistes au Zaïre (CPZA). Bugwika, un homme dont le bilan aurait pu rester très positif, a malheureusement terni sa réputation en adoptant une position tribaliste vers la fin de sa carrière, en s’opposant à la reconnaissance de cette tribu. Cette opposition a été à l'origine de dissensions au sein de sa vaste communauté.

Le terme "Banyamulenge" s'est progressivement imposé dans les territoires de Mwenga, Fizi, et Uvira. L’avènement de la CADZ (Commission des Affaires Démocratiques du Zaïre) a renforcé son usage, et malgré les nombreuses barrières qu’on a tenté de lui opposer, il a fini par s’imposer jusqu’au niveau provincial. Ce nom, souvent haï, combattu et dénigré, continue pourtant à faire des percées significatives. Sa destinée semble si puissante que ceux qui osent le défier voient souvent leur propre étoile ternir. Chaque tentative d'éradiquer ce terme n'a fait que l’amplifier, lui permettant de gagner plus de terrain. Lorsque la guerre fut déclarée contre les Banyamulenge avec l'intention de les effacer de la carte, le terme a atteint un niveau de reconnaissance nationale et internationale.

Aujourd’hui, "Banyamulenge" est non seulement accepté dans les académies, mais il est aussi inscrit dans les dictionnaires. Il suffit de faire une recherche en ligne pour constater combien ce nom est devenu populaire. Certains y ajoutent des épithètes comme "les soi-disant" ou "les prétendus," mais cela n'empêche pas la reconnaissance du terme, souvent mieux connu que le nom de leur propre tribu. En Afrique centrale, lorsqu'il est question de désigner un adversaire redoutable, on fait souvent référence à ce nom. En Afrique de l'Est, il est utilisé pour signifier une protection infranchissable. Dans le monde occidental, les Banyamulenge sont perçus autrement : comme des personnes honnêtes, dotées de valeurs inébranlables, résistantes aux tentations mondaines.

Le terme "Munyamulenge" au singulier et "Banyamulenge" au pluriel se traduit littéralement par "de Mulenge," habitant ou venant de Mulenge. Ils forment un groupe de Tutsis, culturellement apparentés aux Banyarwanda, vivant dans l'Est de la République démocratique du Congo, principalement dans la province du Sud-Kivu, à proximité de la frontière avec le Burundi. Par extension, et sous l'influence des conflits, le terme "Banyamulenge" désigne aussi, dans certains médias, tous les Tutsis autochtones du Nord et du Sud-Kivu : les Tutsis de Bwisha, Rucuru, Jomba, et Masisi. Cependant, cette généralisation est incorrecte, car bien que ces groupes partagent des points communs (langue, race), leur histoire est différente de celle des Banyamulenge proprement dits du Sud-Kivu.

Le terme "muntu," signifiant "personne," provient de l’usage fréquent qu’en faisaient les Banyamulenge pour interpeller une personne dont ils ne connaissaient pas le nom. Il équivaut au terme "Sha" couramment utilisé au Rwanda, mais qui est rarement employé chez les Banyamulenge, car jugé moins courtois. Seul un supérieur ou une personne plus âgée peut l'utiliser envers un subalterne ou une personne plus jeune, mais jamais l’inverse.

Aujourd’hui, c’est au tour des Bafulero de vouloir s’approprier l’appellation "Banyamulenge" sous prétexte qu’ils habitent actuellement sur la colline. Hier encore, ils niaient l’existence même de ce terme; aujourd’hui, ils prétendent qu’il leur appartient. Qui sait si demain les Bavira et les Babembe ne réclameront pas la même chose? Quoi qu’il en soit, pourvu qu’ils ne viennent pas avec des prétentions d’exproprier ce terme de ses propriétaires originels et de vouloir s’en approprier seuls, comme ils le font avec le terme "Congolais."

Quelques Banyamulenge ont tendance à vouloir à tout prix écarter les autres communautés qui utilisent le terme "Banyamulenge" lorsqu'elles cherchent à se défaire d'une appellation qui confère un avantage à leurs adversaires acharnés, déterminés à les maintenir dans une définition tendancieuse les plaçant en position d'outsiders. Selon eux, ce nom est exclusif et propre à un groupe authentique. Cependant, face à un monde qui ne comprend pas les détails et la complexité de l’histoire de la région, il devient superflu de distinguer chaque groupuscule dans un conflit qui vise globalement une ethnie

Il est bien compris que les membres de la communauté Banyamulenge vivent avec un traumatisme psychologique résultant de la persécution politique prolongée. Certains, par crainte de probables retombées ultérieures ou par simple prudence, ont tendance à repousser des termes comme "Tutsi" ou toute relation qui pourrait les rapprocher des pays voisins, eux-mêmes stigmatisés par la propagande en République démocratique du Congo (RDC). Pourtant, il y a des limites à ne pas franchir. On ne peut pas politiser les relations culturelles, car cela reviendrait à une forme d'aliénation.

Il est profondément regrettable de constater que des généraux arrêtent des élèves banyamulenge qui étudient au Rwanda ou au Burundi lorsqu'ils retournent en vacances chez leurs familles sur les Hauts Plateaux. Ces jeunes sont alors traités de "suspects," un terme codé souvent utilisé par les génocidaires. C'est non seulement un crime, mais c'est encore plus déshonorant de voir qu'un groupe de Banyamulenge a fait de cette pratique une véritable profession. Ces individus se tiennent prêts à pointer du doigt tout Tutsi en provenance des pays voisins, une manigance exploitée par certains hauts gradés des Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC) pour justifier leur maintien en poste. Plus grave encore, ces auteurs, dans leur folie, pensent être plus patriotes que leurs compatriotes.

Il est temps de mettre un terme à cette stigmatisation qui associe un type de visage, une langue, ou une culture à la suspicion. D’ailleurs, si l’on se référait aux statistiques, on découvrirait que les communautés désignées comme suspectes sont en réalité les moins criminelles, comparativement à celles qui ne sont pas pointées du doigt.

Dans la mesure où le nom "Banyamulenge," dans son acception de "Tutsi congolais," est plus connu que les noms de Bajomba ou Banyabwisha, il devient plus facile de se faire comprendre en utilisant l'expression "Banyamulenge du Nord." C’est une logique simple. Il ne s’agit ni d’une usurpation pour certains, ni d’une domination pour d’autres. C’est un mécanisme naturel d'utiliser une référence plus ou moins connue. Après tout, les deux communautés tutsies, du Nord comme du Sud, vivent des conditions identiques en ce qui concerne la discrimination politique à laquelle elles sont confrontées. Elles sont toujours mises dans le même panier. Qu’elles le veuillent ou non, elles sont condamnées à coopérer et à coordonner leurs efforts pour lutter contre la menace d'extermination.

Il ne faut pas oublier qu’un mot naît, grandit, engendre d’autres mots et peut prendre un sens plus large ou plus restreint, voire acquérir une connotation différente de celle qu'il avait initialement. Le nom "Congolais" en est un exemple. Aujourd’hui, les Babembe et les Bafulero prétendent être les "vrais Congolais," alors qu’ils n’ont aucun lien de consanguinité ni culturel avec les Bakongo. Si le terme "Banyamulenge" prend un sens plus large, devenant synonyme de "Tutsi congolais," où est le mal? N’est-ce pas là son essence même?

Il est important de noter que les Banyamulenge sont restés pendant longtemps dans l’anonymat, ignorants et ignorés par leurs frères de race au Burundi et au Rwanda, ainsi que par leurs compatriotes du Nord-Kivu. Plusieurs hypothèses ont émergé après ces retrouvailles. Ces hypothèses sont souvent le fruit d'une imagination naïve, inspirée par des sentiments calqués sur des conceptions contemporaines. À force de se répéter, ces idées ont fini par être considérées comme de l'histoire. Parfois, on a, à tort, transposé l'histoire du Rwanda sans tenir compte des dates et des périodes des événements, confondant ainsi les faits anciens et récents comme s'ils constituaient un vécu commun.

Si les Banyamulenge partagent une histoire commune avec les Banyarwanda ou les Barundi, cela ne concerne que la période avant leur installation au-delà de la rivière Rusizi, bien longtemps avant l'histoire du Congo dans sa dimension actuelle. C'est dans cette logique que les premiers écrivains, désireux de trouver des causes à leur présence, ont supposé diverses alternatives, telles que la guerre ou la famine, qui auraient poussé une communauté donnée à quitter une contrée pour une autre. Cependant, ces récits se situaient dans une logique inversée, car ils plaçaient l'installation des Banyamulenge comme postérieure à la création de l'État actuel du Congo, dans ses limites frontalières telles que nous les connaissons aujourd'hui.

Cette confusion linguistique a conduit à dire que les Banyamulenge sont venus du Rwanda et ont traversé pour s’installer au Congo. Pourtant, on ne peut parler de traversée sans franchir une frontière existante et réellement connue, à moins de se référer à la traversée d’une rivière. En ce sens, les Banyamulenge ont traversé bon nombre de rivières et continuent de le faire dans leurs mouvements de transhumance et de réinstallation


L’hypothèse de la recherche de pâturage est la plus plausible au regard du mode de vie des Banyamulenge à l’époque, étant une communauté essentiellement pastorale. L’expansion d’une communauté grandissante vers des terres inhabitées est un phénomène naturel et normal, qui peut expliquer le mouvement des populations. Dans de tels cas, il peut y avoir des causes communes, mais aussi des raisons personnelles propres à chaque famille. Par exemple, on raconte que Buhiga aurait volé un troupeau de vaches et l'aurait emmené loin pour échapper à la poursuite des propriétaires.

À la recherche de pâturages plus étendus et plus verts, Rumenge Nvubikira, suivie de nombreuses familles, aurait traversé des rivières dangereuses, grouillant de crocodiles, et franchi des forêts jusque-là inexplorées pour atteindre Ngaji, situé à la limite de la province du Sud-Kivu et du Katanga. Une communauté importante s’y était installée durant l'époque coloniale, mais avait rebroussé chemin après l’indépendance en 1972, en raison des troubles causés par la rébellion.

Pendant cette période troublée, Sekidende avait même dépassé Ngaji pour atteindre Vyura et Moba, suivi par plusieurs familles issues de tous les clans. Vers 1996, Moba et Vyura abritaient une communauté de Banyamulenge comptant plus de 15 000 personnes. Malheureusement, ces populations ont été chassées, et aujourd’hui, il n’en reste plus aucune trace dans ces régions.

La tradition orale rapporte que la plaine de la Ruzizi, tout comme le mont Nyangezi, étaient depuis longtemps des zones de transhumance pour les plus audacieux. La traversée de la rivière Rusizi, infestée de crocodiles, n'était pas une tâche facile. Une fois de l'autre côté, dans une vaste savane idyllique, la nature se révélait loin d'être accueillante. La plaine était peuplée de fauves, et la malaria y sévissait particulièrement, rendant la vie difficile, notamment dans la plaine de la Ruzizi.

Selon ces récits, les premières familles qui s'y aventurèrent se virent contraintes de rebrousser chemin après quelques années de séjour à Bwegera, face au risque d'être décimées par la malaria. Le deuxième groupe, sous la conduite du chef de famille Serugabika, ou peut-être une partie du premier groupe, se dirigea vers Kakamba en direction de Lemera, où il demeura pendant plusieurs années. Le dilemme était clair : il s'agissait de choisir entre un élevage prospère, qui constituait l'activité économique principale des éleveurs, et la survie face à la pandémie de paludisme. La seule échappatoire à la malaria était de gagner les hauteurs, où les moustiques étaient moins présents.

La région offrait ainsi de vastes étendues sur le flanc versant de la chaîne de Mitumba, surplombant le lac Tanganyika. Sous la direction de Sunzu, le père de Kayira, le groupe dépassa Lemera, puis Kibungo, pour finalement s'installer à Mulenge, proprement dit. C'est à partir de ce point de départ que l'expansion véritable des Banyamulenge aurait eu lieu, s'étendant dans toutes les directions.

Mutambo Joseph, dans son livre intitulé Les Banyamulenge: qui sont-ils?, d'où viennent-ils?, quel rôle ont-ils joué (et pourquoi) dans le processus de la libération du Zaïre? évoque aussi les cas d’un groupe qui aurait progressé puis disparu. Tués ou absorbés par d’autres tribus ? Difficile à répondre. Mais il est arrivé de moment ou un clan de Babembe appelle Bashiluhinda avait célébré des retrouvailles avec le clan Banyamulenge de Bahinda disant que ce sont les frères longtemps séparés. La fouille de mémoire de la tradition orale retraçait un arbre généalogique avec beaucoup de coïncidence.


Organisation sociale


Les niveaux de l’organisation socio-familiale Banyamulenge

Pour l’ensemble de la société Banyamulenge, il y a lieu de généraliser les différents échelons de l’organisation socio-familiale de la manière suivante. Le père, le grand-père, le clan, et le village, sont les coordonnées qui indentifient tout Munyamulenge. Il suffit de donner des indications pour que la personne soit bien située. Cependant, avec une démographie explosive et face à l'éparpillement à travers le monde, cette méthode s'avère de moins en moins efficace. Aucune autre ne semble la suppléer ou la remplacer. Il faudra peut-être être informatisé. Mais qui pourra le faire quand on sait que le pouvoir de Kinshasa fait tout pour effacer leur trace ?

Urugo

La famille élémentaire est le cercle familial élémentaire regroupant le chef monogame de la famille élémentaire, c’est-à-dire le père, la mère et les enfants non mariés. Urugo rwa Kabudogo.

Ingo =Pluriel de rugo

La famille nucléaire est le cercle familial nucléaire regroupant le chef polygame de la famille nucléaire, c’est-à-dire le père, les mères et leurs enfants respectifs non mariés. Ingo peut aussi désigner plusieurs familles élémentaires. Ex : Ingo za Mutumitsi, wo mu Maheta.

Inzu

Est le cercle familial dont le chef a au moins un fils marié (= yarashyingiye). Quand le chef d’une de inzu est polygame ainsi on parle de inzu nkuru= isue de la première épouse et inzu nto = issu de la deuxième épouse. Au cas où il y a plus de deux femmes, on utilise les adjectifs numéro ordinal : Inzu ya mbere, inzu ya kabiri, inzu ya gatatu. Exemple : kwa Rumenge inzu ya mbere, mu nzu ya kabiri…

Umuryango

Terme rarement utilisé dans le haut plateau mais sous l'influence de kinyarwanda commence à prendre place de inzu ou parfois de clan surtout dans la diaspora.

La parentèle (= Inzu yaguye= lignage )

C’est le cercle familial regroupant le chef de la parentèle (le père), la mère, ou les mères, les enfants mariés (filles et garçons) et les enfants non mariés ainsi que les familles élémentaires ou nucléaires de ses fils mariés ou non. On pourrait préciser Inzu yaguye (ou umuryango mugari) ya sogokuru pour faire comprendre qu’on a des inzu za basogokuru na ba data inclus

Umurara , Imirara= clan(s)

C’est un ensemble de groupes lignagers dont les membres se disent descendus d’un ancêtre éponyme commun réel et historiquement connu et duquel ancêtre éponyme ils portent tous la même appellation. Exemples de clans. umurara w’Abatwari, umurara w’Abasegege.

La tradition orale chez les Banyamulenge rapporte que certains clans portent le nom de leur troupeau et non le nom de leur ancêtre commun. C’est le cas, par exemple, des Indahurwa qui ont donné naissance au clan Abadahurwa. Le nom de Abasegege vient Insegege, abakwakuzi de Inkwakuzi. Il faut se rappeler qu'à l'époque les troupeaux étaient non seulement la base de l'économie, mais aussi le symbole de la fierté et du prestige, que l’on peut comparer à de compagnies dans la société moderne. De nos jours, on entend des gens s'identifier au nom des entreprises pour ou dans lesquelles ils travaillent.

Ubwoko.

Au-delà du clan, il y a la tribu, ensuite l’ethnie, et enfin la race. On comprend aisément la confusion qui règne autour de ces termes, surtout lorsqu’on tente de définir l’identité des Banyamulenge. Contrairement à leurs voisins, les Banyamulenge, bien qu’étant un petit groupe, constituent à la fois une tribu, une ethnie, et, si l’on pousse la réflexion, une race distincte dans le Sud-Kivu. Ils partagent une origine commune, parlent la même langue, le Kinyamulenge, et sont unis par une culture pastorale commune. Leur appartenance ethnique est Tutsi, et ils possèdent des traits physiques caractéristiques, tels qu’un visage ovale et une taille élancée.

En comparaison, les voisins des Banyamulenge sont souvent définis par leur langue et leur tribu respective. Par exemple, on parle de la tribu des "Bafuliro" pour désigner ceux qui parlent le Kifuliro, des "Babembe" pour ceux qui parlent le Kibembe, et ainsi de suite pour les Banyindu, les Bavira, etc. Dans le cadre des considérations ethniques, les Babembe, les Banyindu, les Bavira, et les Bafuliro partagent des traits physiques similaires, ce qui les place dans la même ethnie et la même race.

À l’origine, la société Banyamulenge était organisée sous forme de familles, de lignages, et de clans. Avec le temps, ces lignages et familles, devenus de plus en plus nombreux, ont donné naissance à des clans, structurant ainsi la communauté autour de ces unités sociales. Cette organisation a permis aux Banyamulenge de maintenir une identité forte et distincte, malgré les défis et les pressions extérieures.


Dans son ouvrage mentionné ci-dessus, MUTAMBO Joseph distingue 26 clans parmi les Banyamulenge. Cependant, certains de ces clans peuvent être considérés comme des macros-lignages issus d’un même clan originel. La société Banyamulenge, étant exogamique, interdit strictement l’endogamie au sein d’un même clan. Ainsi, pour les Banyamulenge, un clan se définit comme une communauté au sein de laquelle les membres ne peuvent pas se marier entre eux.

Il est important de noter que certains grands lignages ou clans avaient tendance à se fragmenter en plusieurs sous-clans à la suite de conflits internes. À l’inverse, d’autres clans ont parfois choisi de se regrouper, formant ainsi une sorte de cartel, souvent motivé par la reconnaissance d’un lien antérieur. Ce lien peut être basé sur la consanguinité suivant un lignage patrilinéaire, sur des anciennes alliances familiales, ou sur des origines géographiques communes.

Le regroupement au sein de ces cartels est souvent dicté par une stratégie de renforcement mutuel. Toutefois, si l’affinité au sein du cartel devient trop forte, il peut arriver que le mariage y soit interdit, un phénomène observé dans certaines communautés. Pour éviter les unions au sein d’un même lignage, les Banyamulenge remontent souvent les arbres généalogiques, bien que la perte de la tradition orale continue ait parfois rompu la chaîne de transmission, créant ainsi de la confusion.

Cette confusion est d’autant plus évidente lorsque des personnes issues de clans différents portent des noms similaires ou presque identiques. Par exemple, les Basegege se réclament du lignage Gahaya. Est-ce le même que celui relaté dans la généalogie des Banyarwanda? Le nom de Basambo chez les Banyamulenge pourrait-il être une déformation de Bashambo du Rwanda? Les Banyabyishi sont-ils des descendants de Byinshi, le rival de Ndoli ya Ndahiro du Rwanda? Il serait prématuré et risqué de tirer de telles conclusions. Cependant, ces questions ouvrent des pistes intéressantes pour les historiens désireux d'explorer l'histoire complexe des Banyamulenge et leurs liens avec d'autres groupes de la région.

Nous savons que Byinshi, l'ancêtre éponyme des Banyabyishi, était un contemporain de Ntwari, avec qui il a été un adversaire. Selon les calculs basés sur les générations, Ntwari serait probablement du XVIIe siècle. D'un autre côté, Byinshi, l'adversaire de Ndoli, a vécu au XVe siècle. Il y a donc un écart de deux siècles entre ces deux figures historiques.

De plus, l'histoire du Rwanda rapporte que Byinshi du Rwanda (nommons-le ainsi) a été massacré avec toute sa famille, ne laissant aucun descendant. Ceux qui sont appelés les Banyabyishi au Rwanda ne sont pas ses descendants directs, mais plutôt ses partisans, similaires à un groupe politique. Il serait donc plus logique de conclure qu'il s'agit de deux personnes distinctes, malgré l'homonymie, et non de la même personne avec l'ancêtre éponyme des Banyabyishi chez les Banyamulenge.

Les défenseurs de la thèse qui rattache ces deux hommes pour en faire un seul n'avancent aucun argument solide à part cette homonymie. Il semble que cette idée soit davantage motivée par un désir d'appartenir à une lignée princière plutôt que par des faits historiques avérés. La tentation de relier ces deux figures repose sur une recherche de prestige, plutôt que sur une analyse rigoureuse des faits historiques et des contextes temporels.

Dans une société où l'endogamie au sein d'un même clan est strictement interdite, il est raisonnable de penser que la subdivision des clans en sous-clans, qui peuvent se marier entre eux, est dictée par la nécessité d'assurer des unions matrimoniales. Pour permettre ces mariages, il devient impératif d'éloigner le plus possible les liens de parenté en adoptant de nouvelles appellations basées sur des ancêtres plus ou moins récents, qui deviennent alors les éponymes des nouveaux clans. Ce processus implique souvent l'abandon du nom commun d'origine pour les nouveaux sous-clans.

Par exemple, si le mariage était interdit entre tous ceux issus du clan Abasambo, cela réduirait le nombre de clans à moins d'une dizaine, limitant ainsi les possibilités de mariage. Afin d'éviter une telle situation, les sous-clans qui peuvent déjà se marier officiellement sont considérés comme des clans à part entière. Cependant, il est crucial de les reclasser comme sous-clans au sein du grand clan dont ils sont issus.

C'est le cas des Abagorora et des Abatakure, qui sont à la fois des clans indépendants et des sous-clans du grand clan Abasinzira. Ce reclassement reflète une organisation sociale qui cherche à maintenir la diversité généalogique tout en respectant les traditions et les interdictions endogamiques. Cette dynamique complexe illustre comment les clans évoluent pour répondre aux exigences sociales et culturelles de la communauté, tout en préservant l'intégrité des liens familiaux et des structures traditionnelles.

Les Banyamulenge sont tous des Tutsi, bien qu'ils n'accordent généralement pas la même importance à la signification politique de ce terme qu'au Rwanda ou au Burundi. Trop souvent, certains écrits les présentent comme étant issus de brassages entre plusieurs tribus de la région, ce qui est une interprétation erronée. Cette approche, bien qu'elle puisse paraître conciliante, fausse l'histoire et n'apporte aucune solution véritable. Ce n'est pas le fait d'avoir des liens de consanguinité avec les Bantous qui confère aux Banyamulenge leur nationalité congolaise, mais plutôt un droit inné, hérité de leur histoire.

La tradition orale rapporte qu'une vingtaine de filles, dont l'origine tribale est incertaine, ont été arrachées aux arabisés lors de la traite des esclaves. Ces filles ont ensuite eu des enfants avec leurs libérateurs. Il est donc important de nuancer l'idée de la présence d'esclaves parmi les Banyamulenge. Ceux qui ont été, à tort, qualifiés d'esclaves ne sont en réalité que des demi-frères, c'est-à-dire des frères partageant le même père mais nés de mères issues de tribus différentes. Ces demi-frères sont complètement intégrés à la communauté et leur nombre est si insignifiant qu'il est exagéré d'en faire un sujet de débat comme s'ils constituaient une couche sociale distincte.

Étant donné que la société Banyamulenge est patrilinéaire, l'appartenance des enfants est déterminée par celle du père. Selon les mœurs locales, les demi-frères sont considérés comme des frères à part entière. Ils portent les mêmes noms de clans, reconnaissent les mêmes ancêtres, et partagent la même vie que les enfants issus des autres épouses. Ainsi, au sein des Banyamulenge, l'unité tribale et ethnique est préservée, et ces liens familiaux renforcent leur cohésion et leur identité collective.



Le 9 mars 2023

Paul Kabudogo Rugaba


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